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  • Day 80

    Transat, partie 2

    January 18, North Atlantic Ocean ⋅ 🌬 26 °C

    Mardi 16 janvier - 00h12
    Les jours s'enchaînent de plus en plus facilement, j'ai perdu le compte parce que mon cerveau est conditionné à ne pas savoir dans combien de temps on arrive. C'était nécessaire de présenter les choses comme ça dans ma tête. D'habitude pour me lancer dans une tâche j'ai besoin de lui donner une heure ou une date de fin, comme ça je sais que je me mets pendant 4h à fond sur cette activité. Ça me rend super productif sur le moment, mais dès lors que je dépasse les fameuses 4h, alors je deviens presque incapable de poursuivre sérieusement mon travail.
    Là le fait d'aborder la transat sans date butoire, sans deadline, ça me fait rentrer dans un état d'esprit différent. Je me laisse bien plus faire par le temps qui passe et les jours s'enchainent bien.
    Toujours pas de fichiers météo en vu, donc nos choix seront forcément moins éclairés et moins bon qu'en temps normal, la transat va donc elle plus longue que prévue, espérons qu'on morfle pas trop.

    J'ai passé ma journée à déguster "quand sort la recluse" de Fred Vargas. J'ai du mal à être raisonnable dans ces cas là et je l'ai englouti d'un coup. Pas grand place pour d'autres activités donc

    16 janvier 22h14
    J'ai du mal à comprendre les cycles de lune, j'avais l'impression qu'elle se levait vers 3-4h plein Est et la voilà plein Ouest à 22h, drôle d'affaire.
    Ce matin en me levant, la table est sortie sur le pont, pleine de sang, 3 poissons péchés des 9h. La journée s'annonce belle comme tout. C'était des petiots, qu'on a pas réussi à identifier avec le livre des poissons de Youen. J'ai continué la pêche avec les gens sur le pont toute la journée, surtout avec Paulo et Gervais. Très vite un poisson volant assez gros est tombé dans le cockpit, ça sera donc exocet à midi en plus de l'autre pêche, histoire de goûter. Les deux traines sont toujours à poste, on voit ce que l'océan a à offrir aujourd'hui. Vers 11h, première prise pour moi, le frère de deux des poissons qu'on a chopé tôt, un petit de 30cm de long, tout brun et revêtant une espèce de lubrifiant un chouia dégueu. C'est quand meme un petit boulot de remonter les traines continuellement avec les Sargasses qui se mettent dedans, on en croise en permanence, des fois sur plusieurs milles d'affilés. Elles sont à des stades d'avancement différents, certaines recouvrent toute la surface sur des centaines de m2, certaines sont au stade d'embryons, on dirait des bébés nénuphars.
    Après manger les traines mordent de nouveau mais le poisson se libère, mais pas pour la seconde, on chope un beau mahi mahi de 80cm, super lourd à remonter, on s'y fout à deux avec Gervais. Grosse surprise, son ventre est bien tendu, elle avait dans le bide un poisson de 25cm en train d'être digéré entier dans l'estomac, les sucs étaient en train de lui dissoudre la chaire. Ça nous amene à un total de 5 poissons dans la journée, assez pour manger ce soir et demain. Ceci dit on ne s'arrête pas, on se dit qu'on a un record de 5 à battre est qu'il est tout prêt, à peine 10min après avoir fini de lever les filets de la précédente, une nouvelle dorade coryphéne mord à l'hameçon. On hésite à la laisser partir, mais non, celle ci servira à faire nos premières rillettes de dorade ! Rebelote et record battu, on range les traines et au boulot, on taille le tout en dés, dans une casserole avec beurre oignons et épices et puis ça part en emiettage, puis huile, refroidissement et hop en pot. On se le garde pour notre point Némo à nous, quand on sera au plus loin de toute Terre pour notre transat, 870 milles de la côte la plus proche.

    Après cette première semaine de nav, on s'est fait un petit point avant le repas du soir pour discuter tous ensemble de la vie à tous, de comment se sentait chacun et comment on vivait la traversée. Ça s'est conclu en concours de celui qui faisait le plus l'éloge de notre groupe, donc tout va bien !

    Je viens de voir qu'il y avait 5700m de profondeur sous notre bateau selon les cartes marines. Sûrement la masse d'eau la plus importante de ma vie sous la quille du bateau que je croiserai

    Pour le quart de cette nuit, je me remets de la techno dans les oreilles, ça devait bien faire un mois, sans compter le nouvel an que j'en avais pas trop écouté. Qu'est ce que c'est puissant quand même, bien plus intéressant qu'un café ou qu'une quelconque boisson énergisante. Je me suis complètement réveillé, avec le vent qui se lève et la belle luminosité de la nuit, j'ai pris mon pied dans chacune des vagues. Faut dire que les conditions sont au rendez vous, j'ai pu virer mon sweat et faire mon quart en Marcel. Olala

    17 janvier - 20h50
    L'heure à la Barbade est à GMT -4:00 alors que l'heure en France est à GMT +1:00, ce qui fait un décalage de 5h en tout. En partant du cap vert, on était à deux heures de décalage, du coup certains jours, on va changer d'heure de manière aléatoire sur le bateau. C'est là qu'on se rend vraiment compte que l'heure est un concept complètement arbitraire. Pour essayer de bouleverser le moins possible nos habitudes de quart de nuit, on va essayer de faire en sorte que la nuit tombe en même temps que le 20h - 9h des quarts. Il faut savoir ce qu'on veut voir à telle ou telle heure pour décider de l'heure à laquelle cela correspond. On pourrait définir le Zenith du soleil à 12:00, le coucher du soleil à une heure précise, ou son lever. Ce qui est dur aussi pour nous, c'est qu'on ne peut pas reproduire le schéma français. La différence de latitude fait que les saisons ne se comportent pas de la même façon. Là où on sait qu'en hiver le soleil se lève tard et se couche tôt, on ne sait pas bien comment il s'adapte si près de l'équateur. Alors, un peu au pif, on a décidé de retirer progressivement des heures pour être caler quand on arrive à la Barbade.
    D'ailleurs nos discussions commencent sur que faire à la Barbade, les mouillages qu'on a envie de voir où les activités que l'on veut faire. Moi qui ne connaissais vraiment pas les Antilles, je deviens fou sur le type de paysages que l'on va voir aux Antilles. On a récupéré avec le bateau un énorme atlas des Antilles, qui répertorie mouillage, port, explications de courant, détails de certaines passes, etc... Et chacune des photos fait carrément baver, j'ai du mal à me sentir plus en vacances et plus relaxé que je ne le suis déjà, mais les paysages sont chacun plus onirique les uns des autres.
    J'ai l'impression que l'on va retrouver le mode de navigation à aller de mouillage en mouillage, en se déplaçant à terre seulement avec l'annexe. C'était ce qu'on faisait beaucoup avec le Heaven Can wait, et c'est clairement ce que je préfère. En fait plus je reste sur le bateau pour vivre nos aventures, plus elles me plaisent. Aujourd'hui j'ai découvert des vus aériennes de petites passes étriquées où il faut naviguer entre des barrières de corails à fleur d'eau pour espérer y accéder, ça à l'air magnifique.

    Toujours est-il qu'il nous reste 1150 milles nautiques au moment où j'écris ces mots, la moitié de la traversée. Je me trouve actuellement au fameux point le plus éloigné de toute Terre, 1450 km d'eau à la ronde, une petite semaine de navigation. Le mettre en mot est assez terrifiant, je ne suis même pas sûr que des hélicoptères aient la capacité de venir nous chercher.

    J'écris ces lignes le lendemain. C'est marrant parce pile quand j'écrivais qu'on aurait bien du mal à venir nous sauver, on se prend un grain dans la gueule, rafale de 30-35 noeuds. On est au vent arrière, donc le bateau va dans le même sens que le vent, ce qui fait qu'on le ressent beaucoup moins fort qu'il n'est vraiment. Je regarde nos voiles, tout est sorti, grand voile pleine et le génois tout déroulé. Il faut agir parce que si le pilote ou le mec à la barre fait une erreur, avec les vagues et 35 noeuds, on est dans la merde. J'appelle Elsa qui veille en bas pour de l'aide, il faut commencer par enrouler du génois histoire de réduire sa surface. Au moment où elle choque l'écoute, elle ne l'a laisse pas tendue, l'écoute surpatte sur le winch, avec la tension dans le bout, ça peut rester bloqué. Je le débloque rapidement mais je fais pas gaffe et ma main vient se coincer dans la poulie derrière le winch. Sur le moment ça fait bien mal, j'ai peur de rester coincé, j'tire un coup sec et la main vient, direction l'eau froide par premier réflexe. L'eau est à 28,4° donc loin d'être froide mais ça soulage un peu quand même et je voit que seulement le petit doigt a pris et que ça n'a pas l'air bien grave. Pourtant je sens mon corps qui fait la classique chute de tension comme à chaque fois que je me fais mal. Je reveille Gervais rapidos pour qu'il aille aider Elsa dehors à réduire les voiles et Elouan pour qu'il check mon doigt, c'est lui qui connait le mieux ce domaine. Je m'allonge dans le carré parce que je sens que la tête tourne, jambes en l'air et ça le fait. Elou désinfecte et me fait un petit pansement avec de la crème. Pause gâteau et ne me relève doucement pour aller rejoindre les deux dehors. Le vent continue de souffler fort, ils sont à l'avant pour greer la trinquette, la voile de baston pour ne pas trop forcer sur l'étai du génois, bon réflexe de Gerv. Avec les conditions c'est gilets obligatoires. Je reste à l'arrière et je prends la barre pour les aider plus efficacement qu'avec le pilote. Une fois le génois roulé et la trinquette prête à être envoyée, on prend un ris. C'est pas l'étape la plus facile parce qu'il faut se maintenir face au vent, donc face aux vagues énormes. J'allume le moteur, puissance aux 2/3 et direction la vague pendant que Gervais est a pied de mat et Elsa au piano. Là c'est sportif parce qu'on tombe derrière chaque vague et ça éclabousse pas mal, heureusement la mer est chaude comme tout. Une fois la manoeuvre terminée, au moment de se remettre à la bonne allure, une énorme vague casse sur le bateau et projette des taxis embruns sur Elsa et moi, on est trempé en un coup. Encore une fois l'eau est chaude et le bateau est en sécurité et avznce bien dans les grosses vagues, l'adrénaline redescend et on se marre tous les trois. C'était de belles manœuvres, aucun cris, aucune panique, grosses conditions mais on a été efficace.

    La nuit après celà n'a pas été compliqué pour les gars sur le pont, mais ça balance bien dans la cabine avant, ça nous remet une petite leçon d'humilité.

    Au matin, mal dormi et mal au dos parce que dodo en biais et les muscles qui forcent pour pas tomber un côté ou de l'autre de la couchette. Le vent oscille entre 17-25 noeuds, le bateau avance toujours aussi vite malgré les vagues et la réduction de voilure, on reste comme cela. La mer prend des couleurs que je lui connaissais pas, il fait grand soleil, les moutons sont bien formés a la cime des vagues et des Sargasses oranges strillent la mer. On navigue donc sur un élément déchaîné, à dos de zèbre sous psychédélique.
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