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  • Day 8

    J8 - lundi 25 avril

    April 25, 2022 in Turkey ⋅ 🌙 16 °C

    Ça y est, ça commence à sentir la fin. Nous venons de passer notre dernière journée complète à Bursa, et c'est sans regret que nous la quitterons en avance demain, à midi au lieu de 18h.

    Pas de petit déjeuner ce matin, nous partons directement pour la Grande Mosquée, que nous atteignons vers 12h30 après avoir traversé et visité le Bazar local.

    BAZAR

    Nous l'avons parcouru de long en large depuis notre arrivée ici, notre hôtel étant tout proche. Ce matin, (comme tous les matins probablement), c'est le marché. On le découvre dans une sorte de bazar parallèle, dans des petites rues adjacentes. Les étals ne sont pas bien différents des nôtres en France, sauf que les maraîchers font de gros efforts de présentation.
    Les fruits, les légumes, les graines sont tous disposés de manière plus ou moins artistique, en tout cas ordonnée, et c'est très joli. Cela donne vraiment envie d'acheter.
    Il ne nous en faut pas plus pour nous faire basculer dans l'inconscience la plus débridée: nous achetons une barquette de fraises.

    Oh, je te vois sourire, lecteur taquin, "encore un effet dramatique pour rien", penses-tu. Si tu es un habitué, néanmoins, tu te souviendras peut-être que la négligence envers les plats locaux, notamment les crudités, souvent aspergés d'eau pour leur conserver un semblant de fraîcheur, peut coûter très, très cher.

    En 2017, lors de notre voyage au Rajasthan, j'ai ingurgité un protozoaire dans un plat de nouilles servies dans des assiettes sales. C'était ma deuxième tourista du voyage. j'ai perdu quelques kilos et pas mal de points de tension pendant près de deux mois. Je sais que je suis un choupinou de l'estomac.
    Nous prenons des gélules de probiotiques spéciales voyageurs depuis, et cela semble fonctionner car même si nous ne buvons pas d'eau du robinet, nous avons déjà mangé des crudités et on est encore en vie.

    Donc ces fraises. On n'y pense pas une seconde en les voyant : bien grosses, rouges à souhait, elles ont l'air bien mûres et juteuses. On descend la barquette en 2 minutes, en papillonnant d'étal de fruits en étal de légumes et la réalité nous rappelle à sa dure loi en voyant un pépé-maraîcher arroser consciencieusement ses salades avec un petit arrosoir en plastique. Je souris en l'apercevant, et le montre à Mérignac. "T'as vu? il arrose ses salades!" De l'eau.
    "Putain, de l'eau! On a mangé des fraises!!" éructe-t'il.
    L'ambiance s'assombrit juste de le temps de manger la dernière, la mort dans l'âme (et peut-être la bébête dans la tripe) mais on sert les dents, on se la déguste comme si c'était la Dernière de toutes.
    On'allait pas la laisser perdre, et advienne que pourra.

    ULI CAMI

    Alors, "cami" en turc, c'est "mosquée". C'est utile de le savoir et facile à se rappeler parce qu'on le voit écrit partout. La Grande Mosquée de Bursa est la 5e en importance du monde musulman après celles de La Mecque bien sûr, Médine, Jérusalem et Damas en Syrie.

    Elle date de 1400 et possède 20 coupoles.
    C'est à croire que l'étalon de majesté et de renommée à l'époque était le nombre de coupoles données aux édifices. On a vu des coupoles centrales entourées de coupoles secondaires, elles-mêmes emprisonnées par une armées de petites coupoles tout autour, et on sent bien la frustration de l'architecte d'alors qui, ne pouvant plus les entourer elles-mêmes d'autre coupoles minuscules a finalement choisi de disposer ces dernières (elles devaient déjà être fabriquées) directement sur les précédentes, les faisant ressembler à de grosses pustules pas forcément agréables à première vue.

    Toutes les mosquées que nous avons visitées jusqu'à présent ne sont "que" une large salle où divaguent les touristes sous d'imposants lustres, avec une zone de prière réservée aux croyants près d'un mirhab (une niche) qui indique la direction de La Mecque et un minbar (une chaire), souvent en bois noble ou en marbre.
    Ici, le mihrab est magnifique, orné de volutes et d'arabesques d'or, et le minbar est en bois de noyé. Par contre, la coupole centrale est percée d'une verrière qui laisse entrer les rayons du soleil et éclaire une fontaine aux ablutions juste en dessous, alors qu'en général, les fontaines se trouvent à l'extérieur. Original.

    Nous passons un petit moment à regarder les gens prier, prendre des photos, se reposer.

    DÉJEUNER

    Puis il est l'heure de manger notre salade/plat turc devenus habituels. Pour l'un de nos derniers repas ici, on reprend une pide, cette pizza en forme de barquette LU garnie d'un mélange de mouton, poivrons, piments, tomates et fromage. Un délice. Elle est quand même énorme, on a demandé la plus grosse.
    Oui, on est en vacances.

    Je suis totalement rempli de ce bonheur turc et je n'ai plus qu'un café en tête. Olive, lui, a bien de la place encore pour un dessert. Nous allons le prendre dans l'ancien caravansérail à l'architecture magnifique que nous avons découvert hier, Koza Han. Il teste une nouveauté (pour nous) : le dondurmalı irmik helvası. Alors, ça fait style, comme ça, mais en fait c'est une glace à la vanille servie dans un pot en carton et recouverte d'une pâte de semoule/pistaches jusqu'à rabord. Je pense que c'est la version "à emporter" car on voit des photos ailleurs où le dessert semble être servie sans le pot et a une forme de dôme pointu.

    Moi j'ai mon café turc. C'est une particularité, aussi, ce café turc. On nous a toujours dit que "café bouillu, café foutu", mais le dicton n'a pas dû arriver jusqu'ici car dans la tradition, le café turc est moulu très fin, versé dans un petit pot en cuivre directement avec l'eau et le sucre si besoin, puis bouilli trois fois avant d'être servi.
    Je ne sais pas si les cafés turcs que nous avons bus étaient bouillus trois fois, mais ils n'avaient pas le goût de café foutu en tout cas. Un goût particulier, certes, mais pas si mauvais si on passe le barrage de la fine mousse sombre. Aussi, il faut faire attention de ne pas boire plus que le liquide, car tout le marc reste au fond. C'est un café que l'on ne touille surtout pas (je sais de quoi je parle!).

    Devant moi, ce triste, pauvre dondurmalı est en train de se faire déchiqueter en silence par une cuillère en plastique avant de finir sa vie dans la bouche de Mérignac.
    Je suis quelqu'un de solitaire, c'est convenu. Mais de solidaire aussi, notamment en bouffe. Je ne peux décemment pas le laisser manger seul.
    2 minutes plus tard, je dévore le mien. Un nouveau massacre intersidéral.

    RE-PLOUF

    Comme nous avons épuisé toutes les visites qui nous intéressaient, pourquoi ne pas tester un nouveau hamam? Le Routard nous en conseillait deux, il faut bien qu'on puisse choisir en connaissance de cause. Nous voilà donc partis vers l'Eski Kaplıka, un bain turc datant de la fin du 14e siècle. Nous en avons pour trois quarts d'heure de marche. Cela devraient nous faire digérer tous nos écarts.

    J'étais mitigé quant à l'idée d'en faire un autre, et aussi rapidement, mais je ne regrette absolument pas. L'extérieur est dans le plus pur style ottoman avec ses nombreuses coupoles de toutes les tailles. Mais l'intérieur... nous laisse bouche bée.

    Ces coupoles recouvertes de zinc dehors sont toutes montées en briques en dedans. Les éclairages, naturels et artificiels (les dômes sur les côtés de la salle d'accueil sont éclairés par des spots rouges) mettent en valeur l'édifice de manière incroyable. L'atmosphère est paisible, calme, peu de bruits nous parviennent de la furie extérieure, les deux employés chuchotent entre eux.
    L'un d'eux nous amène vers notre vestiaire (on a désormais le code, on sait) qui n'est plus un compartiment de train mais une cabine de bonne taille avec deux couchettes matelassées si l''envie nous prenait de nous détendre avant d'aller nous détendre.
    Portes coulissantes, panneaux opaques colorés, croisillons de bois, tout respire le voyage dans le temps, dans ces époques lointaines où l'on quittait la chaleur terreuse des déplacements à dos de chameau, les foules pulsantes des marchés de fruits orientaux et de soies pour venir se laver, se reposer et discuter de la vie ou des affaires avec les siens. En quelques minutes, je suis déjà loin dans ma tête.

    Puis je me rappelle que je suis tout nu devant le miroir, prêt à m'enrouler dans la serviette fournie (tiens, des carreaux bleus aujourd'hui) et la seule vision de mon reflet me remet violemment dans l'axe de ma propre chronologie. Les chameaux, les nuages de poussière et les odeurs d'épices s'évanouissent aussi rapidement et nous sortons de notre box.
    On nous indique l'entrée de la première salle de douche, la vraie entrée du hamam. La porte en bois massif et à la pointe persane s'ouvre, grince, et là, deuxième choc.

    la salle est toute en marbre blanc. Nous descendons une première marche, puis une deuxième, chacune séparée de l'autre par un étroit caniveau où coule en continu un filet d'eau translucide. Sur les murs, les mêmes petits lavabos et leurs robinets, mais ceux-ci mieux oeuvrés, en métal forgé et pas en plastique.
    La chaleur n'est pas étouffante, pas de vapeur d'eau non plus. Les dalles sont en marbre également mais ne glissent pas, et pourtant, toutes les surfaces planes sont recouvertes d'eau, une très fine pellicule qui coule des lavabos et se répand à l'infini, brillante, et finit sa course dans les petits caniveaux tout autour.

    Le spectacle n'est pas encore terminé. De l'autre côté de la pièce, une autre ouverture : le passage pour le bain en lui-même. La salle du bassin, au centre, avec ses dalles de marbres surélevées qui servent de bancs tout autour. Si l'autre hamam était coloré en rose et vert pâles, ici, tout est blanc et gris-bleu. Les peintures des murs ont été appliquées avec un effet vieilli, ou alors très mal, mais le résultat est unique et confère à la pièce une beauté hors du temps, comme si nous étions transportés à des siècles de maintenant.

    La piscine fait à peu près 6 mètres de diamètre et tout autour 8 colonnes blanches s'élèvent jusqu'en haut des murs pour soutenir la coupole, elle-même immaculée et percée d'une verrière surmontée à l'extérieur d'une sorte de clocheton en pierres.
    Autour du bassin, la zone de passage et dans les murs des alcoves avec leurs propres coupoles, les bancs de marbre et les petits lavabos.
    L'eau de source chaude jaillit d'une gueule de lion en pierre dans un petit bassin carré dont le trop-plein se déverse dans le bassin.

    Je reste juste sans voix. Je n'ai pas les mots. C'est majestueux, grandiose. La cerise sur le gâteau: nous avons le hamam pour nous seuls pendant un très long moment. On s'imagine follement être chez nous, que tout cela nous appartient. Un rêve fou.

    Nous y restons une heure, puis ressortons nous faire sécher par l'employé qui nous habille comme des pachas. Une vingtaine de minutes supplémentaires à siroter un thé allongés sur des couchettes moelleuses dans la salle principale, quelques photos (on a bien demandé à photographier le bassin mais refus poli), puis nous repartons, le corps et l'esprit détendus, juste bien.

    SOIRÉE

    Vu la distance et l'heure, nous n'aurons pas le temps de repasser par la chambre avant d'aller dîner. On va directement au resto de ce soir, goûter ces fameux iskender kebaps qui ont été inventés ici même. Bon ce n'est pas une première, mais celui-ci, l'original, est recommandé. Ils ne font que ce plat, rien de moins, rien de plus. Mais quel plat!

    Nous mettons près d'une heure pour rejoindre l'Iskender-1867, repaire des aficionados de ce plat typiquement turc. On a opté pour un retour à pied, histoire de moins culpabiliser sur la bouffe. Et aujourd'hui, on bat tous nos records: 18,5km!

    Au risque de te décevoir, cher lecteur : rien de notable ce soir. Aucune connerie, aucun accident (ah si, Mérignac a renversé son verre de jus de raisin sur la table du resto. Service impeccable, serveur au grand sourire "no problem", avec en retour un verre de nouveau plein). Nous nous couchons plus tôt ce soir car nous reprenons le ferry demain à midi, direction Istanbul pour une dernière nuit avant le retour en France.

    Demain, c'est la journée des dernières fois. Je la redoute à chaque voyage. Elle est annonciatrice de gros craquages. Encore plus que d'habitude...
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