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  • Day 301

    Hiver en Anatolie

    February 2 in Turkey ⋅ ☀️ -4 °C

    Après maintes et maintes hésitations (il faudrait écrire un livre sur les grands tracas de décision du voyage) on décide de traverser le petit Caucase à vélo, plutôt que de prendre un bus qui fait un très grand détour pour rejoindre la Turquie.

    Petite apartée sur les prises de décision. Déjà seul ce n'est pas facile, alors à deux... Trop prévoir au risque de passer à coté de l'imprévu, tout laisser libre et se retrouver dans le flou et les galères.
    Choisir telle ou telle route, passer son temps à regarder la météo, à nous imaginer ramer dans le froid, sous la pluie ou suer dans les montées. Regarder toutes les alternatives, bus, trains, bateau, comparer tous les prix.
    Puis re-imaginer les belles montagnes, les beaux bivouacs...

    Et parfois l'envie d'oublier les dénivelés futures qu'on vient de calculer, de ne plus penser à la météo qu'on vient de regarder... Bref revenir à notre première intuition, sans toutes ces recherches qui nous compliquent tous nos choix.

    Bref un bon cercle de non décision ! Ajouter à ceci une contrainte temporelle, un projet où des gens que l'on a vraiment envie de voir, et vous trouvez un noeud au cerveau de la taille d'une bonne pelote de laine.

    Règle d'or ne jamais essayer de prendre une telle décision sans avoir bien dormi et bien mangé. Fatigués c'est la cata et alors patatra, la pelote s'effiloche pour s'effondrer en spirale sur elle même, et ne reste plus que l'envie de laisser tomber et de pleurer.

    Il nous en ai arrivé quelqu'uns, des moments comme celui-ci.
    - Sarajevo ou comment passer mes 30 ans ;
    - Redescente des Dolomites, mais que faire ensuite ?
    - Trikala ou comment échapper au déluge
    - Tbilissi ou comment rejoindre la Turquie

    Ces moments sont aussi des moments de tension entre nous. On attend de l'autre un choix qu'on est incapable de faire soi-même, sympa !

    Au final la décision est prise (on sait pas trop comment) et on part gaiement ! Heureusement on n'a que peu ou pas de regrets, et on se retrouve toujours !

    Pour revenir à Tbilissi, il s'agit de réussir à en partir. Ça doit faire 10 fois qu'on se retrouve dans cette ville, on a la sensation d'y être coincés !

    Traverser le petit Caucase veut dire : remonter des cols à plus de 2000m, et surtout se retrouver sur les hauts plateaux, entre 1800 et 2200m d'altitude, pendant 3 à 5 jours ! La météo annonce entre -2°C la journée et -13°C la nuit, avec surtout un très fort vent de face. Bref on est pas confiants confiants sur nos capacités à rejoindre Kars avec ces dénivelés, ce vent, ce froid mais le bus... Trop la flemme ! On veut rouler nous, après cette grande pause à Gudauri 🚴.

    On part donc de Tbilissi (Hourra !!!) vers 16h. La prise de décision a été bien longue, et on part bien tard.

    Je suis excité à l'idée de traverser un univers que j'imagine tout blanc, désert, doté d'un autre rythme. La question qui me trotte dans la tête c'est "vu les températures et le vent annoncé, est-ce vraiment dangereux ? Ou pourra-t-on trouver des refuges en cas problème ?"

    On y va tout doux donc ! Pas question d'entamer la période froide déjà fatigués ! On monte tranquillement pour retrouver progressivement la neige. Pas de grand beau temps prévu les prochains jours, mais des nuages et du vent, tous les jours un peu plus fort, qui est censé finir sur une véritable tempête dans 4 jours. 90km/h, ressenti -25°C. Il s'agit d'être à Kars à ce moment-là !

    Mais pour le moment on profite de ce blanchissement progressif, jusqu'à passer un col pour se retrouver sur les hauts plateaux. On a tous les deux l'idée du stop dans la tête. Parce qu'on a peur de ne pas arriver avant la tempête, aussi parce qu'on a jamais essayé. Alors il faut nous imaginer tendre timidement le pouce à chaque pickup, camionette et camions qui nous doublent. On n'y croit pas trop, à vrai dire, et les premiers signes ne sont pas encourageant !

    Et puis voilà que l'après-midi du 2e jour un pickup s'arrête ! Vite, vite on se dépêche de mettre en vrac les saccoches et les vélos dans la baine avant qu'ils ne changent d'avis 😅. On avance comme ça jusqu'à la première ville sur notre route, Dasla, 30kms plus loin. Trop gentils, ils nous déposent au début du prochain col. Ils sont quand même sceptiques sur le fait qu'on arrive à passer, et rejoindre Ninotsminda, de l'autre côté.

    On commence à rouler vaillamment vers les gros nuages qu'on voit en face. Ça monte, on approche les 2000m. Les premiers flacons et les premières bourrasques nous attrappent.
    Oh, oh les quelques automobilistes roulant en sens inverse nous font des grands signes, et 2/3 fois même on comprend "Road block !","Problems !", mais les voitures continuent à arriver ! Alors pour en avoir le cœur net on en arrête carrément une.
    "Alors ca passe, ou ca passe pas ?!"
    Pas de réponse claire, on comprend juste "bad weather". Bon allez si les voitures passent, on passe aussi.

    On continue donc de monter avec un bon vent et une neige de plus en plus persistante, en tentant le stop à chaque fois qu'on entend un bruit de moteur venu de derrière.

    Proche du col un pickup s'arrête. Ohhh l'aubaine !! Il n'a pas de place, qu'à cela ne tienne, on démonte tout en 2-2 en lui montrant bien que ca rentre 😅

    Quelques centaines de mètres plus tard on est en plein blizzard, et on comprend enfin tous ces signes ! Un vent terrible, des congères de neige énormes. On est à 10km/h et on ne voit même pas le capot de notre propre voiture, tellement tout est blanc ! Effectivement en vélo ca aurait sport ! et dangereux tellement on ne voit pas à 1m.

    On arrive à Ninotsminda, de l'autre côté, où le temps est de nouveau plus clément. On remercie notre sauveur, qui en plus nous amène jusqu'à un petit hôtel, et nous invite pour le goûter 🌮

    Aujourd'hui on ne pensait pas arriver aussi loin. Ça nous aura prouvé deux choses :
    - Les plateaux du petit Caucase c'est haut, il fait froid mais c'est beau et on arrive à y faire du vélo.
    - Les gens, quand ils nous sentent en galère, nous aident. Et le stop avec 2 vélos, c'est possible !

    Bref on va y arriver, à traverser ce "désert blanc", et sans mourir de froid !

    Dans notre lit de petit hôtel le soir, je me dis que j'aurais bien expérimenté le blizzard, petit vélo perdu dans la tempete, sacrée image ! Tout de même on est bien fier de nous et de notre journée !

    Au réveil on attaque notre dernier jour en Géorgie, ce soir on est de nouveau en Turquie, sur les hauts plateaux de l'Est de l'Anatolie.
    On a une vraie poussée de joie au passage de la frontière. On est content de retrouver la Turquie, ses minarets, ses habitant.e.s et sa nourriture. On fait beaucoup de kms ce jour-là pour rejoindre un lac, Clidir Gölü. On évolue dans un univers complètement blanc depuis quelques jours. A la fois la neige, qui recouvre et assourdi tout, et le ciel, rempli de ces nuages hauts qui précèdent les tempêtes. Evidemment le lac est complètement gelé. On aperçoit des traineaux tirées par des chevaux (un vrai floklore traditionnel!), et des petits trous, ça et là dans le lac, pour pêcher et pour faire boire les animaux. Dans les quelques villages que l'on traverse, on voit toujours autant de chiens, de poules et de vaches que d'habitude. On a une petite pensée pour eux, ça ne doit pas être facile la vie dehors ici ... On ne voit en revanche très peu de gens à l'extérieur de chez eux, on les comprend !

    On passe la dernière heure de la journée à longer le lac. On voyage aussi dans nos têtes, chacun de notre côté, Marine et moi. On se demande parfois ce qu'on fait là, perdus avec nos petits vélos. Les rares personnes qui nous croisent, en voiture ou camion, ont l'air de se poser la même question, vu leurs expressions quand ils nous voient !

    Il fait presque nuit lorsqu'on arrive dans un petit village collé à une presqu'île qui s'avance sur le lac. On a décidé de s'arrêter là pour la nuit et pour une fois, de planter la tente dans la neige. La présence du village nous rassure et à la recherche d'un endroit plat on installe tout naturellement la tente... sur le lac ! On a pas trop de doute sur la solidité de la glace, mais tout de même, ça n'est pas anodin !

    Pas le temps de trainer pour installer le campement et préparer le repas. Quand il fait froid tout est plus compliqué ! Les mains sont froides, il faut faire fondre de la neige pour le repas, etc....

    Une bonne idée de s'installer près du village ?! Pas du tout ! Comme partout en Turquie l'endroit est plein de chiens errants. Lesquels, ne nous connaissant pas, viennent nous rendre visite à 4h du matin. Pleins de chiens qui aboient tout autour de la tente, vraiment tout près ! On se demande à quel point ils ont faim...
    On fait les morts et ils finissent par partir. Mais ca nous a secoué, et pour se rendormir, pas facile !!

    Bref au matin on est pas frais, et rebelote les doigts gelés rien qu'en démontant la tente ! Une petite promenade méditative sur la presqu'île pour moi (j'imagine la vie des locaux, leurs activité dans ce monde d'hivers), Marine m'abandonne et va se faire inviter pour un traditionel chai, puis on entame notre dernière journée jusqu'à Kars.

    C'est encore loin mais pas le choix, la tempête est prévue pour le lendemain. D'ailleurs après des premiers kms calmes, dans cet univers toujours noir et toujours blanc, le vent, progressivement, vient nous dire bonjour, de face !

    On finit la journée en roulant péniblement à 5km/h, l'un derrière l'autre, comme deux escagots. Fiers de ces quelque jours sur les hauts plateaux d'Anatolie, malgré le vent, qui nous a mené la vie dure, et malgré l'absence de soleil, qui nous aura fait rouler avec à peu près toutes nos couches. Un tout petit peu déçu de n'avoir pas vu ce territoire sous un franc soleil, qui aurait réchauffé l'atmosphère ! L'endroit nous est apparu beau, mais froid, par ses couleurs et son climat.

    Pour ma part j'en demande encore ! Mais Mme / Mr Météo n'est pas d'accord, ce sera donc le train jusqu'à Erzurum ! On s'installe comme des rois dans la gare pour la nuit, ici les agents de sécurité, au lieu de nous mettre dehors, nous montrent un endroit privé où "on ne sera pas dérangé" et nous offre du chai. Alala mieux vaut ne pas comparer avec chez nous ...
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