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  • Day 195

    Urbex, fermier loufoque & tourbières

    September 25, 2023 in Estonia ⋅ ☁️ 18 °C

    Le périple en Estonie continue avec un urbex que nous avions repéré tous les quatre avec Léa & Paul, les français•e•s en van avec qui nous voyageons depuis Tallinn.

    Nous entamons une rando le long de l'enceinte de l'ancienne prison de la commune de Rummu. Fermée définitivement depuis 2004, cet établissement était en service entre les années 30 et 90, notamment en tant que camp de travail forcé durant l'ère soviétique. Lors de la fermeture officielle, les prisonniers furent placés dans d'autres centres de détention.

    Enjamber les barbelés et atteindre une tour de guet encore debout.

    Nous voici grimpant au sommet. Sans garde corps, l'ascension est plutôt vertigineuse, mais la vue plongeante sur l'ancienne prison en vaut la peine ! Des véhicules de chantier s'y affairent, semblant construire un nouveau bâtiment.

    Plus loin, nous entrons au sein d'une carrière de calcaire où les prisonniers étaient forcés à travailler. Dans les années 90, l'exploitation a cessé. L'eau n'étant plus drainée, les nappes phréatiques ont rapidement débordé et englouti le site ! Aujourd'hui, le matériel, les engins de chantier et les bâtiments administratifs se retrouvent sous les eaux du nouveau lac créé. Nous déambulons dans un paysage étonnant fait de dunes artificielles et de morceaux de constructions semblant flotter. Un centre de plongée s'y est même installé et propose l'observation des vestiges !

    Le site de la prison est fermé au public. Les barrières restent closes. Mais n'est-ce pas le principe de l'urbex ? Avec un léger sentiment d'adrénaline, nous nous introduisons à l'intérieur, par dessus les barrières.

    Muni•e•s de nos lampes frontales, nous nous glissons à travers les couloirs obscurs et les anciennes cellules. Tout semble avoir été laissé à l'abandon, les prisonniers et le personnel ayant soudainement pris la fuite. Bols et cuillères sur une table, lettre dans un lit, livre ouvert par terre...

    Certaines cellules aveugles donnent une idée des conditions de détention dans ce centre. Les nombreux lits superposés entassés dans quelques minuscules mètres carré témoignent de la torture psychologique "à la russe". Chez nous, la punition est souvent donnée par l'isolement. Dans la culture soviétique, l'enfer, c'est plutôt les autres. La promiscuité entre détenus devait être difficile à vivre. On imagine la sensation d'étouffement ressentie en ces lieux.

    La prison est dans un état d'insalubrité extrême. Peinture décomposée, posters aux murs qui s'effritent...

    Nous découvrons les parloirs où aucun objet ne pouvait transiter. Chaque visiteureuse devait entrer sans effet personnel. Seules les mères avaient l'autorisation de transporter avec elles les biberons pour leurs bébés. La cocaïne y était souvent dissimulée.

    Cuisines, salle de sport où parfois les détenus étaient rassemblés afin de procéder à des fouilles approfondies de leurs cellules, magasins de denrées, pièce abritant d'intrigantes fosses en béton... Nous avons accès à l'entièreté de cette prison désaffectée, c'est une véritable immersion ! Nous apprendrons que les prisonniers foulaient le chou au sein de ces cuves pour préparer la choucroute. Ayant l'interdiction de sortir avant que le travail ne soit accompli, ils urinaient très fréquemment dedans !

    Le lendemain, nous sentant un peu malade, nous partons en quête d'une bonne douche chaude réparatrice. C'est à cette occasion que nous atterrissons chez Mart, un fermier estonien un peu loufoque à la convivialité légendaire !

    Après quelques minutes de piste, nous parvenons dans une cour où nous sommes accueilli•e•s par deux gros chiens. Rapidement, alerté par les aboiements, un homme d'une cinquantaine d'années en short et t-shirt troué au large sourire nous adresse un signe de la main.

    Sa propriété perdue au milieu de la campagne estonienne est un petit paradis. 🌈

    Instantanément, un sentiment d'apaisement nous gagne. Heureux de recevoir de la visite, Mart insiste pour que nous restions un moment nous ressourcer.

    Nous nous lançons alors dans une visite guidée de la ferme, son sauna, sa mare, sa salle de réception improvisée et ses chambres pour les invité•e•s et/ou les voyageureuses.

    Le drapeau estonien flotte au mat se trouvant au centre du jardin. La maison de Mart est un joyeux bordel, mi-rustique mi-magasin d'antiquités ! Il possède une collection impressionnante de pichets et pots à lait.

    Son hospitalité est rare et précieuse. Il sert à Paulo son gin maison et me fait couler un bon café. Installé•e•s au soleil, nous faisons connaissance...

    Son unité de mesure du temps est l'hiver. 3 hivers qu'il est ici. Aujourd'hui, rangement et nettoyage l'attendent, mais qu'importe il aime prendre son temps et remettre au lendemain ! Mart nous raconte l'occupation russe avant la seconde guerre mondiale, les pillages, les viols, la soumission qu'a vécu sa famille. Après avoir évoqué la tempête russe comme une de celle dont on ne se relève pas, il explique le soulagement du début lorsque l'Allemagne nazie a frappé à la porte de l'Estonie et les a débarrassé•e•s des russes. Lorsqu'iels sont revenu•e•s, beaucoup d'estonien•ne•s ont immédiatement fuit par la mer à bord de petites barques craignant la terreur rouge. Mart établit un parallèle avec la guerre en Ukraine qui se déroule actuellement et déclare d'un ton grave que "tout recommence".

    Dans les années 90, il avait une vingtaine d'années et a vécu l'indépendance de l'Estonie. Il nous dit frissonner en nous narrant cette histoire, celle de son pays, mais aussi la sienne. Des images nettes nous parviennent de son récit, d'un peuple estonien enserrant les remparts de Tallinn, comme une chaîne humaine. Faire la révolution en chantant, nous explique-t-il. Sans arme. "Les chars sont passés et sont partis".

    Cette discussion fut très forte et riche en termes de compréhension du pays et de l'histoire de ses habitant•e•s.

    Un autre élément a marqué nos esprits, la présence à nouveau de la culture du sauna. Au cœur de la ferme, une mare se trouve derrière un bâtiment, face aux champs et à la forêt. Été comme hiver, Mart s'y baigne après sa séance de sauna. Attention, jamais l'inverse ! Cet enchaînement revitalise et énergise, tandis que l'ordre opposé endort. ☝

    Après avoir cueilli une bonne quinzaine de pommes, nous reprenons la route, ravi•e•s de cette escale !

    Au sein de ce tout premier pays balte, nous avons également parcouru le parc national de Soomaa, "Terre des marécages". On y retrouve un paysage similaire à celui de la Finlande ; tourbières, couleurs automnales, passerelles en bois, cabanes et feux de camp.

    Sur le parking de randonnée, un gang de quatres vans français ! Nous faisons la connaissance de Max & Manue et de Chloé & Dylan. De chouettes rencontres en perspective ✌🚐.
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