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  • Day 346

    Dépaysement dans l’est, Gaziantep

    February 23 in Turkey ⋅ ☁️ 13 °C

    À mesure que nous avançons en direction de la Syrie, un dépaysement s’installe. Voilà presque deux mois que la Turquie nous a ouvert ses portes ; nos yeux se sont habitués à ses formes, nos oreilles à ses sons. L’adaptation a fait son chemin. Aujourd’hui, un sentiment que nous connaissons parcourt nos corps, le frisson de la découverte d’un nouveau territoire, la petite étincelle du passage de frontière ; alors que nous demeurons pourtant toujours dans ce même pays.

    Le paysage se modifie au fil des kilomètres avalés. Il se fait plus aride, presque désertique. À certains endroits, nous ne croisons plus personne. Nos seules deux âmes voyageuses parcourent ces grandes plaines vallonnées sous le soleil perçant. De temps à autre, une mosquée et son minaret se frayent un chemin et font leur apparition derrière une colline. Les axes routiers semblent neufs, ainsi que les quelques tunnels. Nous dépassons une frêle voiture plutôt ancienne surchargée de bagages à l’arrêt sur le bas-côté ; une famille de quatre membres, la peau très hâlée, se tenant près du moteur. Les posts militaires se font également de plus en plus nombreux.

    La route nous amène à traverser une ville au décor chaotique. Immeubles encore debout arborant d’impressionnantes failles, comme poignardés en plein cœur, passant·e·s évoluant dans les gravats pour rejoindre leur domicile, route atrophiée dont la moitié s’est effondrée. Le tremblement de terre du 6 février 2023 a laissé des séquelles profondes sur ce territoire désolé. De magnitude 7,8, ce séisme destructeur a frappé le sud-est de la Turquie & le nord de la Syrie ; suivi de quelques minutes par une réplique de magnitude 6,7.

    Résultante de ces quelques jours en altitude et des températures négatives, le chauffage a servi plus que de raison... Il est donc urgent de se mettre en quête de gaz ! Notre fidèle application se trouve bien muette tout à coup. Plus nous cheminons vers l’est, plus les spots et commodités se font rare sur la carte interactive. Nous partons donc faire du porte à porte, espérant dénicher la perle rare ! Nous descendons, bouteille et traducteur à la main, et repartons toujours avec une nouvelle adresse sur le GPS ! Nous effectuons ainsi le tour de la ville ; une adresse menant à une autre, puis une autre, puis encore une autre... Après d’innombrables intermédiaires, nous atterrissons devant le portail sécurisé d’une société. Les gardiens nous saluent l’air amusé. Adorables, ils remplissent notre bouteille et refusent que nous payions Notre bouteille alourdie par ce propane si gentiment offert, nous les laissons jeter un coup d’œil curieux à l’intérieur de notre maison roulante qu’ils semblent beaucoup apprécier !🔥

    Première nuit dans l’est, nuit luxueuse sur une aire de camping-car à quelques kilomètres de Gaziantep. Au programme : lessive & douche chaude ! L’occasion aussi d’y faire la rencontre d’une famille suisse : Sylvain, Roxane et leurs deux petites filles. Nous sommes également soulagé·e·s de voir que d’autres voyageureuses européennes s’aventurent dans ces contrées plus reculées.

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    💥GAZIANTEP💥

    Le lendemain, nous partons explorer Gaziantep !

    Autrefois Antep, la ville gagne le suffixe « gazi » (« la victorieuse ») en 1921 suite à sa victoire lors de la bataille de l'indépendance contre les envahisseureuses français·e·s et britanniques installé·e·s à l'issue de la chute de l'empire ottoman et du partage des territoires après la première guerre mondiale.

    Sa population est majoritairement composée de turcs, d’arabes et de k*rdes. Ces derniers représentent une minorité très présente dans l'est de la Turquie. Peuple divisé à la suite de la fin de l'empire ottoman, il se trouve depuis ballotté entre quatre nouveaux états nation ; que sont l’Irak, l’Iran, la Syrie et la Turquie. Instaurant une politique d’assimilation culturelle et linguistique, la Turquie indépendante s’est fondée sur des bases niant la présence d'une importante minorité k*rde ; engendrant une discrimination plutôt assumée par le président précédent et actuel. Les droits de cette nation sans état sont, il semblerait, différents de ceux des turcs. Certain·e·s rêvent toujours d’un k*rdistan, territoire mythique sans frontières reconnues à l’heure actuelle, promesse non tenue par les occidentaux·ales à l’issue de la première guerre mondiale et de la répartition des terres.

    👉MUSÉE DE ZEUGMA

    Notre visite débute par le plus grand musée de mosaïques au monde, le musée de Zeugma. Cité antique au bord de l'Euphrate, Zeugma possédait une position stratégique sur la route de la soie. Ses somptueux vestiges nous étant parvenus jusqu’à l’époque moderne, ils furent menacés de disparition en 1995. Les heures de la ville sont alors comptées, la construction d'un barrage sur le fleuve devenant imminente et allant provoquer l'engloutissement de Zeugma. Des fouille archéologiques d'urgence menées par une équipe franco-turque furent conduites et le sauvetage de dizaines de mosaïques et peintures murales d'exception provenant des villas eut lieu. Malheureusement, des pillards ont été plus rapides et ont réussi à voler certaines parties des fresques, empêchant parfois l'identification de scènes dépeintes.

    Au sein du musée, nous déambulons parmi de monumentales mosaïques géométriques non figuratives et d’autres mettant en scène des personnages de la mythologie. Une pièce obscure recluse attire notre attention. Cet écrin de noirceur garde la gitane de Zeugma, devenue symbole de la ville de Gaziantep. À l’instar de la Joconde (c’est d’ailleurs plutôt l’inverse !), son regard énigmatique se pose et nous suit où que nous soyons ; preuve que les artistes du 2 et 3è siècle maîtrisaient déjà cette technique ! 👀

    On repart ébahi·e·s de cette visite et retournons dans la cohue poussiéreuse de la ville à l’heure de la sortie des écoles. Les papas entassent leur progéniture sur leurs scooters et les mamans tiennent par la main leurs enfants, traversant en courant les rues sans passage piétons.

    👉BAZAR AUX FORGERONS

    Comment s’imprégner d’une ville turque sans se plonger à corps perdu dans les méandres de son bazar ?

    Celui de Gaziantep a la particularité de proposer une zone de marché des forgerons. Nos pieds foulent les trottoirs encombrés au son des tic tic tic des marteaux sur les objets en cours de façonnage. Un homme au doux sourire travaille juste devant son échoppe, prenant le soleil. Je lui demande la permission de le photographier. Il accepte, me lançant fièrement un « Ahmet actor » en riant et se pointant du doigt ! 😂

    Sous le bazar couvert, odeurs de cuir, d’encens, d’épices et de viande grillée s’entremêlent. Les étals recèlent de légumes séchés au soleil suspendus sous la forme de grands colliers, d’olives rutilantes, de pistaches en vrac, d’impeccables baklavas rangés en lignes parfaites... Gaziantep est une ville réputée pour sa gastronomie, notamment pour ses cultures de pistache et son type de baklava qui est une variété protégée par l’Union européenne ! Elle a également reçu le label de « ville créative » en termes de gastronomie par L'UNESCO.

    👉MONUMENTS EN COURS DE RESTAURATION...

    Notre visite n’a malheureusement pas pu se poursuivre avec la découverte des monuments que j’avais repérés sur quelques blogs, car ils sont tous actuellement en restauration, gravement endommagés par le séisme. Lorsque nous passons devant l’endroit où un minaret ou encore des bains antiques se tenaient, des gravats prennent place et des barrières entourent les lieux obstruant passage et vue à l’aide de bâches arborant des photos du monument à l’époque où il se tenait debout.

    Nous parvenons tout de même à admirer plusieurs anciens caravansérails. À ciel ouvert, sous une tente en tissu, on peut maintenant s'asseoir sur des coussins et boire le çay ; à l’instar des marchand·e·s sur la route de la soie. Près de l’un d’eux, nous faisons la rencontre d’un commerçant syrien, ayant fuit son pays en raison de la guerre. Il s’avère que, comme Paul, il est ingénieur en informatique et professeur d’un langage de programmation de formation, maintenant vendeur de bijoux, ici en Turquie.

    Dans les rues de Gaziantep, les regards portés sur nous changent. Ils se font plus curieux. Nous prenons conscience, à mesure que nous sentons l’insistance de ceux-ci, que nous sommes bel et bien les seul•e•s occidentaux•ale des quartiers que nous traversons ; attisant donc naturellement la curiosité des passant·e·s. Nous évoluons également au sein d’un univers d’hommes, les femmes se faisant plus rares dans l’espace public.

    👉EXPÉRIENCES CULINAIRES

    Nos papilles se souviendront, elles aussi, de Gaziantep ! 😋

    Nous y avons découvert le katmer, un dessert sucré ; une sorte de mille-feuilles fourré au fromage et à la pistache servi sur un plateau en bois à partager et à déguster avec un verre de lait. Les mezze à base de pois chiche épicés, boulgour parfumé, yaourt crémeux, olives, pommes, aubergines grillés & pains pitas nous ont aussi enchanté·e·s ! Un plat a retenu notre attention : les dolma. Il s’agit de légumes séchés (aubergines ou poivrons) farcis au riz pilaf, un délice. Le tout accompagné d’une boisson à la fraîcheur et la douceur inégalable, le reyhan sherbet ! 🤤

    Nous repartons, ravi·e·s de nos deux jours passés à Gaziantep, au son tonitruant des bus publicitaires des différents partis politiques en campagne pour les municipales ; musique patriotique, épique, presque guerrière parfois. Au-dessus de nos têtes, flotte un immense drapeau à l’effigie d'Attaturk. Des fanions multicolores aux sigles des partis décorent le périphérique.

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    ⚠️Quelques mètres après avoir repris la route vers notre prochaine destination, avant de quitter la ville, nous sommes témoins d’une scène surréaliste. L’effondrement d'un immeuble face à nous. La vue de la chute vertigineuse du bâtiment lâché dans le vide, s’écrasant, se rapetissant sur lui-même dans un fracas assourdissant est impressionnant. Immergé·e·s dans le nuage de poussière épais, nous sentons encore la terre trembler. Nous discernons la rue balise coupant la circulation devant une voiture de police. Iels n’ont, à priori, pas jugé nécessaire de fermer tout le quartier avant de s’adonner à l’écroulement « maîtrisé » de cet immeuble !⚠️

    Nous nous éloignons du chaos ambiant et retrouvons vite la campagne, ses pistachiers et oliviers à perte de vue, ses collines arides. Nous dépassons des camions aux chargements défiant les lois de la gravité.
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