Satellite
Show on map
  • Day 40

    Traversée Cap Vert - #2

    December 9, 2023 in Cape Verde ⋅ 🌙 25 °C

    05-12
    Quatrième jour de navigation, j'me lève doucement aux alentours de 9h. Je sors la tête du bateau et je trouve les copains en train de prendre des photos avec une bonite magnifique. Le bestiau ressemble à l'idée que je me fais d'un petit thon (81cm quand même) avec des rayures noires sur les flancs, la notre en compte 4 de chaque côtés. Elle est bien plus dodue que les dorades qu'on a péché jusqu'alors, sûrement aux alentours de 3-4kg.
    À peine avoir mis la bonite sur la table que Paul et Gervais remettent les traînes à l'eau. Les copains se mettent à découper le gros poisson tranquillou et on aperçoit sa chaire rouge, ça va être une première pour nous à cuire, sachant que je suis de cuisine le midi, je réfléchis déjà à comment lui rendre hommage.
    Une fois qu'ils ont fini de lever quelques pavés et un gros filet, on check les lignes avec Paulo, je vois passer un truc dans l'eau rapidement et soudainement les deux traines se tendent d'un coup. Je me dis qu'on a chopé un truc flottant et ayant les doigts tout cremeux (crème solaire nécessaire même à 10h), je vais chercher des gants pour relever la ligne. Lorsque je reviens, Paul et Gervais me crient que c'est des poissons. On vient de ferrer deux dorades coryphenes d'un coup, sûrement un banc. L'une se détache toute seule, l'autre finira dans notre seau. On commence à être rodé, les poissons souffrent de moins en moins. On perd cependant notre crochet a poisson dans la manœuvre, ça fait bien chier, il etait super utile dans ce genre de situation pour pas se blesser. Pris d'une folie poissonesque, Paul et Gervais remettent les lignes à l'eau. Tout est parti des Suédois et de leur Espadon, on veut le notre aussi.
    Pendant que l'on vide une daurade, les deux lignes se tendent de nouveau.
    Ça faisait pas mal de temps que j'essayais de les raisonner sur le stockage de notre poisson déjà sur le bateau et ils commencent à accepter d'y réfléchir lorsqu'on remonte deux daurades de plus. On laisse une s'échapper, puis on récupère l'autre. On aura donc ferrer 4 daurades et une bonite en l'espace de 3h, c'est hallucinant. Sur le bateau, ça parle stratégie pour l'espadon, le roi des mers. L'espadon est le poisson le plus rapide du monde et le plus volumineux du livre "Poissons" qu'on a sur le bateau, qu recense les poissons qu'on peut pêcher. Un espadon peut faire jusqu'à 4m et 600kg, l'idée même que 600kg de muscle morde un truc attaché à Damona me terrifie, mais pour la prospérité l'histoire est belle.
    On calme les ardeurs de tout le monde et on arrête de mettre des traines à l'eau, rangement et repos mérité pour le petit poulpe et le petit rapala.

    Entre les poissons et la vaiselle il est rapidement l'heure de faire à graille. On part avec Elsa sur fondue de courgettes et poireaux aux epices, riz pilaf et steak de bonite fraîche. J'ai jamais ne serais-ce que goûté une bonite donc c'est du total freestyle, mais viande rouge oblige, je les cuits à feu vif de chaque côté dans une poêle bien grasse avec du poivre. J'avais pris soin de virer les nerfs et les arrêtes (la pince à épiler était de sortie), le résultat est succulent, ça fond dans la bouche et le goût se rapproche terriblement du bœuf. Énorme réussite, on devient fou autour de la table, Gervais se régale tellement qu'il en vient à apprécier les poireaux, trop top.

    Grosse sieste pour digérer, je me réveille avec les copains sur le pont qui s'agitent. Je sors la tête de ma cabine, des Dauphins de partout. J'suis tout bien réveillé donc je vais les rejoindre et bien que ce soit exactement ce que à quoi je m'attendais, je suis quand même surpris. Ils sont énormément, ils semblent arriver de partout. Certains viennent du large et nous foncent dessus, d'autres jouent à droites et à gauche de l'étrave. Plusieurs dizaines sont sur les côtés et derrière le bateau, il est complètement illusoire d'essayer de les compter. Il en surgit 8 dans chaque vague, certains vont tout droit, d'autres passent le plus près possible de l'avant du bateau, tous se grillent la priorité, c'est un énorme foutoir. Un peu plus au large du bateau (20-30m), des p'tits filous font des mega bond et atterissent comme ils peuvent dans l'eau. On identifie plusieurs espèces differentes dans ce gros banc, c'est merveilleux. Je passe une bonne vingtaine de minutes à observer cette chorégraphie qui semble complètement désordonné, pourtant chacun sait exactement ce qu'il fait, personne ne se touche, ils avancent dans le flux de chaque vague.
    Plus le temps passe et plus mon regret de m'être mis à l'eau trop tard la dernière fois refait surface. J'me mets en moins de deux en maillot et direction la jupe du bateau. Il doit bien en avoir une quinzaine collés au bateau juste sous la jupe, ça me refroidit momentanément. Mais l'envie est toujours là, il faudra bien le faire un de ces jours donc pourqioi pas maintenant. On descend l'echelle de bain pour voir comment ils reagissent, voir s'ils essayent pas de mettre des coups dedans, à prioris ça va, ils sont pas perturbés.
    J'enfile un masque et je descend progressivement les barreaux de l'échelle tandis que paul et gerv me decrivent leur position autour de moi. Puis vient le moment où je lache les jambes, les bras agrippant fermement un barreau de l'echelle, la tête vers le bas.
    Au départ je ne vois rien, l'eau est beaucoup plus trouble que les derniers jours, elle est bleue marine en surface, voir grise puis vert foncé dès quelques mètres. Je sors la tête de l'eau, les copains me crient à gauche, à droite, je me remets dedans directement et là c'est completement bluffant. Les dauphins nagent à quelques mètres de moi, il doit en avoir 4-5, ils me regardent. Ils sont moins en surface que lorsqu'ils jouent à l'avant du bateau, descendent un peu en profondeur pour remonter à côté de moi. La situation est complètement folle, je m'aperçois que j'entends très bien leurs cris aigües dans l'eau. Parfois ils s'approchent un peu près, ça fait drolement peur alors je serre les bras pour me remettre rapidement sur l'échelle. C'était court mais intense, Paul qui me regardait s'est déjà mis en maillot et veut tester l'expérience à son tour.

    Il fonce avec moins d'appréhension que moi maintenant que je suis revenu entier, les copains se decident eux aussi à se mettre en maillot. Alors petit à petit toutble monde se met à l'eau les uns apres les autres, parfois deux en même temps en mettant un grand bout auquel se suspendre derrière. Ça crie de joie ou de peur à l'arrière du Damona, l'adrénaline est au maximum.
    Petit à petit cependant les dauphins se tirent et le peu de soleil qu'on percevait derriere les nuages aussi, on voit presque plus rien dans l'eau alors on cloture l'expérience. On en ressort tout bouleversé et tout fatigué, le bateau avançait vite mine de rien, les bras ont bien pris.
    Gros goûter avec galette sucre pommes expérimentales cuisinés par Youen, chocolat au lait ou thé puis jeu de société autour de la table. L'eau était à seulement 23,3° pendant cette affaire, on a chopé des réflexes de luxe, c'est presque froid pour nous.

    Ceci dit, il n'y aura pas eu un seul jour sans dauphin depuis notre départ des Canaries

    06-12
    Aujourd'hui magnifique levé de soleil, je suis debout à 5h pour mon quart donc j'ai tout le temps de le voir se développer. Des nuances d'orange, de violet et de rose comme j'ai rarement vu, je vire carrement des serviettes et des maillots sur les filières babord pour m'accorder la vue optimale.
    C'est l'un des seuls réconfort de la journée d'ailleurs, aujourd'hui grosses vagues qui font tout bouger, pas de soleil, petite flemme de tout. Alors je cherche un bouquin, pour me changer les idées. Je jette mon dévolu sur Fred Vargas, que je connais seulement au travers de la voix de Thierry Jensen, qui l'a bercé pendant les longs trajets en voiture. J'ai l'impression de retrouver la voix du conteur pour chaque personnage, sauf pour les personnages québécois, là c'est carrement les têtes à claques que j'entends, le contraste me fait bien marrer, ça chante pas mal dans ma tête. Je dévore "Sous les vents de Neptune" et c'est pratiquement ma seule activité de la journée, je me le prends d'une traite, gros morceau. J'en sors avec un léger mal de crâne mais ça m'a fait mettre en pause le reste du voyage, la journée passe super vite.

    Y'a deux jours, Paulo organise un diner presque parfait avec trois équipes de deux tirées au hasard, un budget max, un thème à trouver et des notes. J'suis trop content de tomber avec Youen, il a tellement d'idées pour ce genre de jeu, cest le partenaire idéal (Paul aussi d'ailleurs, mais plus je retrouve Youen plus ça me fait plaisir). On commence alors à potasser des idées, des thèmes, on finit par s'accorder sur une espèce de pièce de théâtre tout au long de la soirée autour d'une machine à voyager dans le temps. Le frère de you fera des petites videos à la Jerry dans les Totaly Spies et on sera les serveurs de l'epoque à laquelle ils tombent. Surement préhistoire avec chasseurs ceuilleurs, antiquité et futur. Pour le moment on se base olus sur nos idées de costume que sur des envies de plats, faut que je me mette sérieusement à réfléchir à la bouffe. On se fait ça dès qu'on a pris nos marques à Mindelo.

    07-12
    Il s'est passé un tournant décisif d'un point de vu température aujourd'hui, la couche nuageuse des deux derniers jours s'est levée et on s'est fait tabasser de soleil toute la journée. Je garde bien en mémoire la mission que la grand mère de Paul m'a confié, je veille à ce qu'il mette de la crème ponctuellement. Je le sens dès le petit matin, ça sera une journée sous le signe de la baignade. Premier bain à 25,5°, ça a bien remonté depuis 2-3 jours. Deuxième couche de crème post bain histoire d'être sûr de soi.
    Le bateau avance bon train, pas trop de vent mais on réduit la distance restante petit à petit. Je me commence un bouquin que Joce m'a filé pour le voyage, 200 pages de Fab Caro, "Le Discours" je me marre bien devant, c'est léger et assez agreable à lire, en 3h c'est plié.
    Hop encore une couche de crème, le corps pegue mais il me remerciera cette nuit, Paul y passe aussi. On arrive vers midi et le soleil n'est toujours pas à son zénith, la situation devient critique au soleil, hâte qu'on repare le bimini pour nous protéger du soleil.
    Après manger c'est l'heure d'un nouveau bain, le thermomètre indique une eau à 26,4° je deviens fou de cet océan de plus en plus chaud. L'air aussi est de plus en plus chaud, il provient des grosses masses d'air créer par le Sahara juste à quelques centaines de milles.
    Comme il fait bien beau on fait le point sur notre consommation electrique, on consomme bien plus qu'on produit, même dans les meilleurs conditions. Il faut qu'on reduise et nos deux facteurs principaux sont le pilote automatique (2/3) et le frigo (1/3). Petit point lors du repas, le constat est simple : on doit plus barrer. On passe l'aprem à discuter autour de la barre, à se baigner et à faire des devinettes. On est interrompu par des poissons volants qui passent à quelques mètres à toute allure. J'avais jamais croisé ce truc tout droit sorti d'un conte mythologique, faut dire que c'est impressionnant. J'en aperçois en petit banc de 4-5, voler à la surface de l'eau, ils fretillent et disparaissent rapidement. Ça devient vraiment incroyable quand le soleil se couche et qu'on en voit à contre jour, on s'aperçoit d'à quel point certains volent haut, à quelques mètres des vagues, comme une chauve souris. À la tombé de la nuit, l'un d'entre eux se retrouve sur le pont du bateau, il a mal calculé son coup. Le temos de prendre une photo et on l'aide à retourner à l'eau, il avait pas l'air de pouvoir y retourner seul. Peut être avait il besoin d'être dans la mer pour décoller.

    Lorsque je sors la tête du bateau pour prendre mon quart à 23h, l'air est encore chaud, je croise Paul en short, c'est mon premier quart pied nu, espérons que ça dure. Au thermomètre actuellement, l'eau est à 27,2° alors je sais déjà ce que je fais en me reveillant demain matin.

    08-12
    J'ai pas pu me baigner de la journée malgré le grand soleil et l'eau chaude, le bateau va trop vite. On peut rigoler quand ça va jusqu'à 5 nœuds, au delà y'a un sacré risque qu'on ait pas les bras assez costaud pour nous remonter si jamais. Je vais pas me plaindre non plus, le bateau avance à vive allure, on se fait toujours porter par des maxis vagues, on pousse à 8 voir 9 noeuds dans le creux de la vague. À ce rythme là, on devrait arriver dans la nuit, aux alentours de 3-4h. J'ai le cœur à lire énormément en ce moment, c'est chouette parce que je me plonge dans des récits trépidants pendant plusieurs heures voir plusieurs jours non stop, mais je pense moins. J'ai moins le côté contemplation qui s'éveille quand je boulotte des livres de telle façon. Il est possible que je m'investisse un peu trop dans la tache que je me donne, ce qui fait que je délaisse souvent les autres. Pendant la traversée jusqu'au Cao Vert il m'aura fallu que 3j pour venir à bout des 26 épisodes de 24 minutes de Samurai champloo. J'étais un peu bloqué à ce moment là aussi. C'est surement aussi du au soleil, il tape de plus en plus fort et j'ai tendance à croire qu'il inhibe la réflexion, j'ai du mal à les imaginer du Sud les philosophes.
    Un moment que je garde encore comme de la pure contemplation c'est les étoiles lorsque le ciel est clair. Sur mes tranches de quatre heures de quart reparties aléatoirement, le ciel auquel je m'habitue un soir se transforme complètement le suivant, la terre tourne bien mlus vite qu'il n'y paraît. Encore de nouvelles constellations dans ma collec' Cephee, Pegase, la Girafe, le Lézard et la Baleine.

    Ça fait deux jours de suite que le ciel est complètement dégagé et deux jours de suite que je m'arrange pour être à la barre lors du couché du soleil. J'espère secrètement voir le rayon vert, il me semble qu'une partie de la legende indique une latitude semblable à la notre et un ciel dégagé. Alors voilà deux soirs où je fixe lentement le soleil descendre pour venir se coucher juste derrière nos voiles. Deux soirs que je modifie légèrement notre cap pour l'observer à ma guise. Deux soirs où à force de fixer le soleil couchant, le persistance rétinienne du soleil créer des sortes de petits nuages de lumière dans le paysage. Ils sont magnifiques ces couchers du soleil et je remercie grandement les vagues d'être aussi grosses, celà ajoute beaucoup à l'intensité du moment. La couleur du ciel devient completement pastel et tire peu à peu vers le vert, elle se reflète dans les vagues qui s'illuminent de cime en cime, ce qui fait apparaître tous les poissons volants à contre jour. Sans cette lumière si particulière, on a du mal à les distinguer sur l'eau.

    J'ai pris l'habitude de prendre un temps de mon quart pour écrire ce journal et il se passe actuellement un phénomène assez louche. Des planctons phosphorescents, mais pas les mêmes que ceux qu'on a déjà croisé. Ceux ci ont l'air de s'illuminer quand ils le souhaitent, ils brillent plus fort, mais beaucoup moins nombreux et ne semblent pas briller quand on les bouge. Ça donne un spectacle assez flippant, ça et là, dans les vagues et sous une nuit complètement étoilée, de petites portions d'eau s'illuminent en vert presque fluo. Cest tellement rapide et diffu que ça attire l'oeil mais disparaît aussitôt, comme la sensation d'avoir vu un éclair. Parfois certains de ces phénomènes se répètent en ligne, ça donne l'impression qu'un être invisible marche sur l'eau et fait naitre la vie sous chacun de ses pas, un gardien de l'ocean, comme celui de la princesse Mononoke.
    Read more