Te Araroa 2022-2023

octobre 2022 - mars 2023
Te Araroa (le long chemin) est un itinéraire de randonnée longue distance (thru-hike) en Nouvelle-Zélande, qui s'étend sur environ 3'000 kilomètres le long des deux îles principales du pays, de Cape Reinga à Bluff. En savoir plus
  • 33empreintes
  • 2pays
  • 146jours
  • 560photos
  • 31vidéos
  • 3,0kkilomètres
  • 2,4kkilomètres
  • 301kilomètres
  • 156kilomètres
  • 44milles nautiques
  • 62kilomètres
  • 20milles nautiques
  • Jour 145

    J145, km 2’996, Invercargill

    8 mars 2023, Nouvelle-Zélande ⋅ ⛅ 25 °C

    Nous serons partis de Te Anau en navette, afin de rejoindre le trail là où on l’avait laissé. La première journée sera marquée par de petites montagnes couvertes d’une alternance de jolies forêts, de marais et de champs de tussock, des herbes drues hautes (jusqu’à 1.8 m) en gerbes dans lesquelles on perdra le chemin à plusieurs reprises. Ces herbes seront souvent accompagnées de gorse (plantes à épines) et autre végétation basse de bush. Marc y déchirera son short, le forçant à une soirée couture. Ceci étant dit, les paysages étaient très beaux et à nouveau sauvages.
    Au milieu de nulle part, en lisière de forêt, on arrivera par surprise à 4 m d’un immense taureau esseulé se tenant immobile entre les arbres. On reculera et on le contournera au mieux. Heureusement, il restera impassible et nous laissera tranquilles. Plus de peur que de mal… À la cabane où, faut-il encore le préciser, on dormira sous tente, on se retrouvera avec 8 autres TA hikers, dont un couple très sympathique franco-suisse de Dietikon ayant étudié à l’EPFL et ayant déjà fait le PCT, avec qui on échangera nos impressions de la Nouvelle-Zélande et du trail.

    Après une nuit fraîche, on marchera une journée presque entière dans une belle forêt un peu accidentée. On gravira un petit sommet duquel on distinguera avec un peu d’imagination, entre les nuages, l’océan! En descendant au camp de Telford, on ressortira nos imperméables, ça faisait longtemps! C’est ensuite sous la pluie, et malgré celle-ci attaqués par des sandflies en même temps, qu’on montera notre tente. En cas de pluie, de sandflies, ou comme ici des deux en même temps, notre stratégie est simple et rodée: on monte la tente, on y balance nos sacs et nos corps mouillés, on se sèche et on enfile nos habits secs pour éviter le froid.
    J’aurai été ce matin assez fatigué, alors que le rhume de Marc peine à passer. C’est donc en petite forme qu’on a passé cette journée. Peut-être que le corps et l’esprit sentent la fin approcher!

    Le lendemain matin nous nous réveillons au sec, mais dans une ambiance plutôt froide. Dans ces conditions, enfiler nos shorts et t-shirt encore mouillés n’est pas l’étape la plus réjouissante. Tout comme commencer la journée par marcher dans des herbes hautes et détrempées. Mais c’est de bonne humeur, et avec Marc enfin soigné, qu’on attaque cette journée que l’on passera entièrement à traverser…la plus grande exploitation fermière de Nouvelle-Zélande, rien que ça: plus de 12’500 hectares (la surface de toute la commune de Val-de-Ruz) et 107’000 moutons et bœufs Angus….! Des panneaux ça et là nous avertissent que sortir du trail dans le reste du domaine est illégal et peut être puni d’une amende de 1’000 $ ou d’une peine de prison. On traversera ainsi, en suivant strictement le trail, passablement de vastes pâturages. Dans un de ceux-ci se trouve un taureau, qui restera heureusement assez distant.
    En fin de journée on arrive à une étape obligatoire - puisqu’aucun arrêt ou campement n’est permis ~30 km avant ou après - Birchwood station. Ici, une famille de paysans a mis à disposition pour une somme modique une petite baraque avec des lits et…une douche chaude! Étant arrivés sous la pluie qui a repris en fin de journée, on est plutôt heureux de cette surprise! Cerise sur le gâteau, le pub local organise une navette qui vient nous chercher et nous ramener, le rêve dun hiker! C’est ainsi qu’on se retrouve un samedi soir à Wairio, petit village rural, dans l’unique restaurant de la zone. Celui-ci, plein, accueille un concert de reprises de chansons version country. On pourrait se croire dans un « diner » perdu dans le mid-ouest américain. On y est accueillis par de grands sourires, qui ne sont que plus tendres avec quelques dents manquantes.

    Au petit matin suivant, on partira par temps froid (~3 degrés) dans une brume magique mais glaciale, à marcher dans de hautes herbes à épines détrempées par la rosée, tout en plongeant nos pieds dans des dépressions pleines d’eau. Autant dire qu’on était gelés jusqu’aux os. Puis, littéralement 30 minutes plus tard, alors que le soleil émergeait derrière les nuages, que l’on sortait de la brume et qu’on s’attaquait à une montée raide - dont seuls les kiwis ont le secret - on se mit à transpirer alors qu’on n’était plus qu’en t-shirt. Contraste contraste…!
    La journée passera vite, à marcher dans des décors qui seraient typiques de l’île du Nord: forêt, chemins ruraux puis bord de route. On en aura profité pour discuter avec Élise et Severin, nos compères franco-suisses. Comme ils ont déjà parcouru le PCT en 2017, le retour d’impressions et la comparaison TA - PCT était vraiment intéressante à entendre. On se réjouit d’en discuter avec toi Guillaume!
    Fin de journée à Merrivale où, à nouveau, un paysan a mis à disposition pour quelques dollars une petite cabane et un petit champ pour camper.

    Après une nuit passée dans le beuglement des vaches alentours et de camions passant sur une route proche, on se lèvera tôt pour entamer une journée éreintante. C’est donc, encore une fois, dans le froid matinal et de nuit qu’on commence de marcher. Après quelques chemins de transition on entrera dans Longwood, une longue forêt sur des collines qui doit nous mener jusqu’à l’océan. La réputation de celle-ci la précède et on ne sera pas déçus: des kilomètres de sentier boueux à souhait, où on s’enfoncera souvent jusqu’aux genoux. On rira bien notamment avec Jennie, Élise et Severin, avec qui on parcourt cette section. En atteignant le sommet de Bald Hill l’émotion montera, s’agissant de la première fois que l’on verra clairement au loin l’océan, et surtout la colline de Bluff, notre but final.
    Arrivés à la petite cabane de Martin’s Hut, où les seuls 4 lits sont pris par une famille entière, on plantera nos tentes avec nos comparses moyennant un peu d’imagination pour trouver des emplacements vaguement plats. On crapahutera encore quelques dizaines de mètres dans la forêt dense pour atteindre un ruisseau où on enlèvera au mieux les couches de boue sèche couvrant nos jambes et nos chaussures. La technique retenue pour décaper nos jambes : utiliser nos chaussettes sales et rugueuses comme éponge…

    Après une nuit passée pas vraiment à l’horizontal, mais sans trop glisser au fond de notre tente grâce au calage d’habits sous nos matelas, on se réveillera enfin par des températures moins froides (~6 degrés). Dès le matin je constaterai ce que je soupçonnais le jour précédent, j’ai attrapé la bronchite de Marc (qui va mieux). Les 30 km de la journée seront donc pénibles pour moi. Heureusement, de beaux moments forts viendront éclaircir notre horizon: nous sortirons de la forêt tortueuse et boueuse de Longwood pour rejoindre la côte océanique, où nous retrouverons une plage de galets et de belles petites falaises. On quittera ainsi définitivement, à deux jours de la fin, la partie sauvage du Te Araroa. Autre point fort, nous verrons à nouveau à l’horizon, cette fois-ci encore plus proche, Bluff, notre destination.
    Nous passons la nuit au Holiday Park de Riverton où une douche bienvenue nous réchauffe et nous débarrasse de la boue.

    Notre longue avant-dernière journée (39 km) nous fera d’abord marcher sur une plage de sable de 23 km, qui sera un joli clin d’œil à nos premiers pas sur le Te Araroa le long de la 90 Miles Beach. Ma bronchite m’obligera à prendre un Dafalgan pour ne pas m’écrouler, mais l’émotion restera dominante. Nous traverserons ensuite la banlieue d’Invercargill puis longerons sa baie avant d’atteindre un Holiday Park où, à nouveau, une cabine nous permet de bien nous reposer.
    A ce stade, et au-delà de nos refroidissements, tout le monde commence à avoir « le corps qui lache ». Le mental sait que notre but est à bout touchant, et diverses douleurs viennent nous rappeler qu’il n’est pas anodin de marcher autant durant près de 5 mois.
    Plus qu’un jour pour atteindre Bluff, nos émotions sont à leur comble. Les larmes ne sont jamais très loin non plus. Encore un jour pour profiter. Mille pensées traversent nos esprits.

    Voici les étapes réalisées depuis Te Anau :
    - km 2’828 Aparima Hut
    - km 2’848 Telford Campsite
    - km 2’875 Birchwood station
    - km 2’902 Merrivale (Merriview Hut)
    - km 2’930 Martin’s Hut
    - km 2’959 Riverton
    - km 2’996 Invercargill
    En savoir plus

  • Jour 146

    J146, km 3’026, Bluff

    9 mars 2023, Nouvelle-Zélande ⋅ ⛅ 17 °C

    Après un peu moins de 5 mois de marche, le dernier jour sur le trail est donc arrivé avec émotion. Notre dernière nuit aura été agitée, les pensées et les images se bousculant dans nos têtes.
    Au petit matin, on se réveillera avec le bruit de la pluie tambourinant sur notre cabine de camping. Pourtant, après 10 minutes de marche, celle-ci cessera et ne fera plus qu’une brève apparition un peu plus tard. Une nouvelle fois, on se sent bénis de pouvoir terminer par temps sec et même avec de beaux passages ensoleillés.
    Dès le matin, on marchera avec Jennie, puis on sera rejoints par Élise et Severin, puis Liv et Bert. C’est donc à 6 qu’on passera presque toute la journée, jusqu’à la fin, et ce sans l’avoir prévu, juste de manière naturelle. On passera rapidement et sans en faire trop de cas la barre des 3’000 km, le but final du jour est bien plus significatif.
    Cette dernière section a ceci de particulier qu’elle longe en bonne partie l’unique route d’accès à Bluff, qui forme « presque une presqu’île ». Au sortir de la route, on prendra un dernier repas de midi, assis par terre, tous ensemble au pied des lettres géantes de Bluff. On y dégustera le pavlova et le « gâteau d’anniversaire » que Liv et Bert ont emporté pour célébrer!
    Les 8 derniers kilomètres nous mèneront le long de la belle côte océanique rocheuse (de gabbros et granodiorites), où on profitera encore d’une ultime partie de randonnée en milieu naturel. On avalera ensuite en quelques minutes les 270 m d’ascension de la colline de Bluff. Colline que nous redescendrons ensuite jusqu’au point final du trail, Stirling Point. Les pensées se bousculent, dans un sentiment irréel. Le pas se fait rapide. On compte la distance restante, 1 km, 500 m, 100 m. Puis on débouche sur le parking de ce lieu assez touristique où l’équipe de hikers étant arrivés le jour précédant nous accueille. Ils ont des bières, des chips, et leurs accolades et félicitations nous émeuvent. Évidemment on les félicite en retour, puisqu’ils ont tout autant terminé le trail.
    C’est au final là que se trouve le cœur de ce thru-hike, dans l’échange avec des inconnus qui deviennent, si vite, des personnes qu’on a envie de prendre dans ses bras, sueur ou pas. On a partagé ensemble le même but, les mêmes bonheurs et les meme galères. Je pense que si l’on rencontre dans le futur une personne ayant marché ce trail, même une autre année, il y aura immédiatement une connexion. C’est difficile à expliquer, c’est un lien qui se fait par l’expérience commune, et par la trace indélébile que ces îles laisseront en chacun de nous, indépendamment de l’âge, de l’origine, et du milieu social.

    On aura donc bien fêté notre arrivée à Stirling Point, où se trouvent les fameux panneaux jaunes d’indication de distance - du même type de ceux de Cape Reinga. Puis nous terminerons la journée par d’excellents fish and chips, et finalement à boire des bières avec nos comparses au Bluff Lodge, chéris par l’adorable propriétaire Kay, qui adore les marcheurs du TA, car « être entourée de ceux-ci lui permet de rester jeune » selon ses propres termes. Il est effectivement rare de voire une dame de son âge, qu’on ne précisera pas, avec une telle énergie et une telle générosité. Merci Kay!

    C’est ainsi que se termine notre Te Araroa, même si on a encore de la peine à l’assimiler. Notre quotidien va désormais changer. On devra encore prendre le temps de digérer les émotions et de faire un bilan de cette aventure. Mais sans surprise on peut déjà affirmer que c’était sans doute une des plus fortes expériences de notre vie. On ne pense pas être devenus de grands sages ou même d’avoir beaucoup changé, ce n’était d’ailleurs pas de que nous venions chercher ici - on ne fuyait pas nos vies que l’on aimait. Mais il est certain qu’on n’en ressort pas non plus « indemnes ». Ce chemin nous aura permis de nous confronter davantage à nos propres forces et faiblesses, et d’en tirer des enseignements. Il nous aura évidemment fait prendre, par la distance, un recul unique sur nos vies comme sur la société. A nouveau, il serait très prétentieux de croire avoir gagné en sagesse, mais on se sent certainement plus résiliants et prêts aux changements.

    Cette épreuve commune, avec Marc, nous aura encore renforcé en tant que couple. Le soutien mutuel que l’on se sera apporté nous prouvera encore à quel point on est épanouis et heureux ensemble. Évidemment, lors de journées difficiles on a pu avoir parfois de petites frictions, mais que l’on a toujours pu résoudre par la communication. Et une chose est sûre, on aura bien davantage ri! Te Araroa sera désormais une marque commune indélébile pour les individus que nous sommes, tout comme pour notre couple.

    Et maintenant?
    On enchaîne sur un nouveau thru-hike? Bon, pas immédiatement, même si certain.e.s qu’on a rencontré sur le trail vont le faire. Mais il nous paraît clair que le TA ne sera pas le dernier!
    Dans l’immédiat, après deux jours de repos, nous repartirons le 12.03 pour 3 petits jours sur la Stewart Island, la « 3ème » petite île de Nouvelle-Zélande, où on va faire…une randonnée! Celle-ci est une « great walk », donc un chemin très facile où on fera peu de kilomètres par jour. On dormira encore sous tente pour profiter une dernière fois des nuits en extérieur. Si on a de la chance, on pourra apercevoir des kiwis qui y sont un peu moins rares à observer!
    Ensuite on remontera par bus jusqu’à Invercargill puis jusqu’à Christchurch, où on a loué un van du 21.03 jusqu’au 08.05. Un autre moyen de visiter le reste du pays!

    Concernant ce blog:
    - nous ferons encore une ou deux publications sous ce voyage (Te Araroa 2022-2023), avec probablement en tout cas un bilan chiffré (distances effectives, etc.)
    - nous ouvrirons certainement une nouvelle page (toujours sous ce compte FindPenguins) pour la suite du voyage en van. Ça sera certainement moins…aventureux et palpitant, mais ça nous permettra de garder un souvenir, et à nos proches de suivre notre parcours. Sentez-vous évidemment libres de suivre cet « autre voyage » ou non!

    Dans tous les cas on en profite de vous remercier pour le soutien et tous les encouragements que vous nous avez donnés avant et durant le voyage, par divers moyens. On est chanceux d’être si bien entourés! Encore une dernière fois nous pouvons le dire, nous sommes des privilégiés.

    Voici la dernière étape réalisée depuis Invercargill:
    - km 3’026 Bluff
    En savoir plus

  • Jour 152

    Bilan du Te Araroa

    15 mars 2023, Nouvelle-Zélande ⋅ ⛅ 19 °C

    Après quelques jours de repos, il est temps pour un petit bilan. En terme de retour d’expérience, il est difficile de résumer près de cinq mois de trail. De manière très générale, le bilan est pour nous extrêmement positif. On a eu un plaisir fou à parcourir ces îles à la vitesse du pas. On a eu la chance de pouvoir effectuer l’entier du tracé à l’exception d’une unique section de 40 km sur l’île du Nord qui était fermée (et l’est toujours…) à cause d’un glissement de terrain de >100 m de large. On a par contre pu faire quelques kilomètres en plus sur des sentiers parallèles qui présentaient un intérêt évident. En somme, on a adoré cette aventure tant physique et mentale qu’humaine au travers de multiples rencontres. On a même tellement aimé ce voyage, qu’on peut par avance affirmer qu’il ne s’agit probablement pas de notre dernier “thru-hike”…!

    Voici tout d’abord un petit bilan chiffré de notre aventure:

    Distances parcourues
    - 3’026 km, la distance totale officielle du trail
    - 3’310 km, la distance parcourue selon enregistrement GPS de la montre de Marc, soit 1’871 km sur l’île du Nord, et 1’439 km sur l’île du Sud, dont:
    - 3’115 km de marche
    - 195 km en canoë ou kayak
    - ~85’000 m de dénivelé total, soit 10x l’ascension, et la descente, de l’Everest…depuis la mer.

    Jours
    - 146, le nombre de jours pour terminer le trail, dont:
    - 125 jours de marche
    - 21 jours de pause / “zero day” ou “vacances”, dont 6 à Auckland et Wellington

    On aura dormi (île du Nord + île du Sud = total) :
    - 44 + 39 = 83 nuits sous tente
    - 2 + 7 = 9 nuits dans des cabanes
    - 36 + 18 = 54 nuits en cabine, backpacker, motel, ou chez des trails angels

    Divers
    - 3.5 paires de chaussures usées pour Vincent et 3 pour Marc
    - 5 bouteilles de gaz (taille moyenne) vidées

    Finalement, voici un petit classement des nationalités de hikers que l’on a rencontrés :
    - Nouvelle-Zélande: 25
    - Allemagne: 23
    - France: 15
    - Royaume-Uni: 11
    - Hollande: 10
    - États-Unis: 9
    - Belgique: 8
    - Suisse: 6
    - Australie: 5
    - Canada: 4
    - République tchèque: 3
    - Japon: 2
    - Slovaquie: 1
    - Suède: 1
    - Autriche: 1
    - Israel: 1

    Et maintenant un petit bilan par thème:

    Les rencontres
    L’aspect social est probablement l’un des points forts de cette marche, et dont on ne s’attendait pas à ce qu’il ait autant d’importance. On aura ainsi, en particulier sur l’île du Nord, eu très souvent l’occasion d’échanger avec des kiwis, et d’en apprendre plus sur la culture maori et le mode de vie local. Le sens de l’accueil, la confiance et la gentillesse des néo-zélandais n’a pas de pareil, c’est un élément qui nous marquera, surtout en contraste avec la vision assez austère de l’accueil que l’on peut avoir en Suisse. Cette ouverture aux autres et cette confiance instantanée, qui pourraient avec un esprit cynique paraître presque naïve, est certainement un prolongement du fort sens communautaire et d’entraide qui lie entre eux les kiwis, et qui peut probablement être expliqué par des générations d’un relatif isolement dû à la vie insulaire.
    La fréquentation forte du trail cette année nous aura également permis d’avoir des échanges avec un nombre important d’autres hikers. Certains nous marqueront pour longtemps. Un des aspects qu’on retiendra est que, malgré le nombre de personnes rencontrées, on ne déplore presqu’aucune “mauvaise expérience”. La très grande majorité des randonneurs était très respectueuse des autres et de l’environnement, sympathique et ouverte. En outre, on a absolument jamais ressenti la moindre gêne à être un couple d’hommes, et on ne l’a pas du tout caché.
    Évidemment, la forte densité de hikers pouvait par moment rendre l’expérience du trail un peu moins…unique, ou sauvage. Paradoxalement les discussions sont aussi un peu moins passionnantes et sincères en grand groupe plutôt qu’en petit comité. Un des désavantages était également la pression sur les hébergements que cela amenait. Pour éviter ce problème dans les cabanes, notre stratégie aura été de camper sous tente la plupart du temps. Mais à nouveau, globalement, tout ce monde nous aura permis de merveilleuses rencontres, le bilan est donc largement positif.
    Finalement, en parallèle de ce thème, il nous paraît encore important de mentionner un aspect dont tout le monde je pense est conscient sur le trail, et qu’on a déjà mentionné dans un article: nous, marcheurs au long court sommes des privilégiés, au sens où l’on peut se permettre de voyager sur une longue durée. Pour être clair, la plupart des randonneurs ne sont pas riches, ce sont même très souvent des jeunes au budget serré, mais nous sommes presque toutes et tous…blancs et occidentaux. Il y a certainement en partie un facteur culturel, la pratique de la randonnée n’étant pas répandue partout, mais ne nous mentons pas, la capacité financière est sans nul doute la raison première. Ainsi, nous n’aurons rencontré personne provenant d’Afrique, d’Amérique latine, d’Asie (à l’exception du Japon), ni même d’Europe du Sud (voir le détail des nationalités en début de cette publication). Par contre, il y avait au moins des gens de tous âges et une certaine mixité sociale.

    Le parcours / le trail
    Comme nous nous y attendions, nous étant passablement renseignés avant d’entamer la marche, l’île du Nord consistait principalement à traverser des forêts, des plages, des zones rurales et urbaines, et comprenait un certain nombre de sections sur route. Et l’île du Sud était à l’opposé beaucoup plus sauvage. Nous savions à quoi nous attendre et nous avons aimé pour leurs particularités chacune des deux îles. Bien entendu, si on devait n’en retenir qu’une, l’île du Sud serait notre choix de cœur avec ses montagnes et vallées perdues.
    Plusieurs aspects nous ont marqués concernant le tracé et les sentiers du trail:
    - Le TA étant encore jeune, certains passages sont souvent mal indiqués sur carte, sur le terrain, ou sur les deux en même temps. De même, certaines alternatives à des sections sur route semblaient exister, et les choix du tracé nous ont paru parfois incompréhensibles.
    - Les kiwis utilisent le terme de “tramping” pour parler de randonnée (“hiking” en anglais). Le terme est donc unique, et ce n’est pas pour rien: il ne s’agit pas de marcher sur des sentiers comme on en trouve chez nous, mais bien souvent plutôt “d’affronter” la nature brute sur des chemins non ou très peu entretenus. Comme déjà expliqué, nous avons donc dû traverser de nombreuses zones boueuses, enjamber des milliers d’arbres tombés, nous griffer sur des kilomètres de végétation épineuse, éviter des milliers de bouses de vaches, et traverser des centaines de rivières et estuaires. On peut voir le verre à moitié vide ou à moitié plein: beaucoup de hikers se sont plaints - et parfois nous aussi avouons-le - de la qualité des sentiers. Mais franchement, on aura aussi adoré l’aspect ludique que cela apporte à notre expérience: on se sentait parfois tels des Indiana Jones en pleine exploration! En particulier, on aura pris énormément de plaisir à franchir des rivières à gué, d’autant plus que ça arrive rarement - pour ne pas dire jamais - sur nos chemins suisses.

    Le mental
    On aura traversé ces mois avec une motivation forte. Je me souviens avoir craint, à la fin de l’île du Nord, que le “trail soit trop court” ou que le temps passe trop vite. Puis finalement, progressivement, à partir du km 2’000, on a commencé à se réjouir de plus en plus d’atteindre notre but final. Jusqu’au dernier jour on aura apprécié et dégusté cette aventure, mais en nous réjouissant aussi de faire autre chose que marcher ou avoir des jours de “récupération”. L’équilibre était ainsi parfait, puisqu’on est arrivé à la fin en étant heureux de transiter vers un autre style de voyage. Ceci n’empêchait évidemment pas un pincement au cœur, en quittant un mode de vie qui fût notre quotidien durant près de 5 mois.
    On aura aussi eu des périodes “de hauts et de bas”, mais on n’aura jamais remis en question nos choix, ni douté de notre envie et de notre capacité à aller au bout.

    Le corps
    C’est avec joie qu’on peut constater ne pas avoir souffert de blessure durant le trail. Celles-ci ont pourtant été fréquentes chez les autres hikers, et en ont poussé plus d’un à l’abandon. Pas surprenant quand on réalise avoir marché 3’000 km sur des chemins souvent très accidentés.
    Pour autant nos corps ne seront pas restés sans souffrance. Pour ainsi dire, celle-ci fait partie intégrante d’un tel thru-hike, et ce d’autant plus qu’on s’éloigne définitivement de la vingtaine… Nos pieds, après avoir souffert d’ampoules, auront tous les matins, ou même après des pauses, communiqué leur mécontentement par des douleurs variables mais très fréquentes, surtout après de longues sections sur route. Mes poignets, mains et doigts auront successivement montré des signes de tendinite (à cause de bâtons de marche), mes jambes des périodes de “jambes sans repos” assez intenses la nuit, le dos de Marc été périodiquement douloureux, tout comme nos genoux voire nos chevilles après de fortes descentes. Nos peaux auront été écorchées lors de chutes ou de passages dans les divers types de ronces, puis dévorées par les sandflies, et nos lèvres été gercées par le soleil et le vent. Bref, nos corps ont été mis à rude épreuve. Et il ne faut pas se leurrer: évidemment, on a une forme physique que l’on a jamais eue grâce à l’exercice constant, mais on ne devient pas des surhommes pour autant, et le manque de repos s’est fait ressentir, en particulier vers la fin de notre parcours. Mais la dopamine nous a toujours largement permis de passer outre ces petits désagréments. Et c’est quasi systématiquement que, chaque matin, on repartait avec le sourire affronter une nouvelle journée de marche.

    Bref, en un mot comme en cent, et vous l’aurez compris, si on devait conclure notre ressenti, le Te Araroa fût pour nous une aventure sans pareil qui nous a apporté un bonheur intense et unique. On portera pour le reste de nos jours dans nos cœurs et nos têtes un souvenir heureux de ces 146 jours à traverser, pas à pas, ce pays à la fois accueillant et sauvage.
    En savoir plus