Monte das Moças

Jour 20 8h57:
Toute la journée nous filons au même cap, presque en route directe direction les Açores, c'était déjà la même chose hier. La conséquence d'un vent établi, assez fort, qui reste dans la même direction pendant longtemps, c'est la formation de vagues qui commencent à avoir un sacré panache. On se trouve pratiquement au travers, le vent nous arrive dessus à 100°, les vagues aussi, heureusement qu'on a de la vitesse, autrement on se ferait complètement casser la gueule. La mer est assez brouillon, les vagues sont pas très lisibles et leur direction non plus. Elles se forment en amas assez moche mais grandissent très vite. Vers 17h, elles atteignent facilement 4m pour les plus grosses. On se prend des vallées dessus, à l'intérieur du bateau c'est les montagnes russes. Si elles ont le malheur de se briser pile au moment où le bateau est à son apogée, alors c'est la douche froide sur le pont. Paul et Youen se laisseront surprendre. En même temps on peut les comprendre, le spectacle est sublimement effrayant. Y'a plein plus d'adrénaline en jeu qu'à la fête foraine. On a pas de ceintures. Le boat passe de point culminant de l'océan, fier de sa hauteur, il est une vigie au naturel. À étriqué dans une ruelle sombre, frêle adolescent qui baisse la tête pour éviter de se faire embrouiller. Le tout en période de 10s. C'est un délire.
Comme avec les baleines, parfois une vague est tellement grosse que tout le monde se laisse aller à un "Waaaaaaaaa" qui sort sans qu'on ne l'ai invité. On se marre bien faut dire.

À la tombée de la nuit le phénomène perd de sa superbe, on se fait toujours secouer mais on voit rien, c'est moins impressionnant. Faut se méfier à la barre néanmoins, en glissant sur la vague, le bateau prend de la vitesse et se rapproche du vent, j'hésite pas à mettre absolument tout mon poids sur la barre, l'épaule bien coincé dans l'axe du corps, pour contrôler le surf. C'est physique sur la longue. L'écueil c'est de loffer petit à petit, de faire route droit vers le coeur de la dépression et de commencer à prendre les vagues par l'avant. Quand je suis dans ma cabine, je sens chaque coup de loffe, chaque accélération, le bruit de l'eau se faisant de plus en plus aigu lorsque l'on accélère. Ça cumulé à l'inclinaison des vagues qui tapent l'étrave, je sais si on fait n'importe quoi à la barre. J'suis sorti deux fois en slip de ma cabine pour aller taper sur les doigts du barreur, pas question que le bateau force pour rien et qu'on perde notre cap.

20h45:
J'suis un peu mort de fatigue aujourd'hui, j'ai du mal à rentrer dans ma journée. J'me suis battu pour dormir, ma chambre oscille entre trop chaud et trop froid, mon corps se met au même rythme. Ça fait quelques jours que j'ai chopé la couette d'elsa et je crois qu'elle est blindé d'acariens, j'éternue sans relâche, ça mouche sévère et j'ai les yeux qui piquent. Après un petit antihistaminique je retourne au lit. Mais au réveil j'ai pas du tout la sensation d'être reposé, au contraire, je zone dans le carré jusqu'à midi. Être dehors c'est le meilleur des remèdes en fait, ça m'a ragaillardi pour l'aprem, gros vent, grosse vitesse, gros soleil et gros grains. Dès que le vent molli un peu je déroule l'entièreté du génois, 30m2 de toile ça fait la différence. C'est vicieux parce que quand le vent forci à l'approche d'un grain, ça devient plus sportif. Je fais le clown avec Elouan pour le faire marrer en me battant comme un diable contre le vent. Quand ça rafale et qu'on chope du 25 noeuds travers, on est complètement sur toilé et le bateau a besoin d'un main expérimenté pour garder son cap. Là encore il faut mettre des coups de barres avec tout son poids de corps, autrement la barre nous entraîne et le bateau avec. C'est un peu con comme jeu, les voiles et le gréement forcent trop, mais pendant les 15min d'un grain ça va. J'ai réussi à toucher 9 noeuds au compteur, le bateau n'est pas censé aller aussi vite avec une houle de travers. Une fois les bêtises finies, on enlève pas mal de voile pour laisser le pilote barrer, il serait incapable de tenir le bateau avec la puissance précédente. On se relais entre nos cabines et l'extérieur et on continue de se faire brûler la peau, même en habits de gros temps. Sur le bateau en ce moment c'est presque intégralement lecture, on est un vrai petit club, à se donner nos recommandations, nos points de vues, c'est super sain. On sent la fatigue latente qui nous gagne quand même petit à petit, on a tous hâte d'arriver. Selon nos prévisions actuelles on devrait arriver vers mardi matin, on est vendredi soir. À voir ce on ça se profile, en tout cas on regarde bien plus la tablette que ces deux dernières semaines.

Jour 21 22h30:
Plus que 345 milles quand je vais me coucher, ça avance bien en ce moment c'est vraiment agréable. Grosse pensée ce soir pour les coraux qui n'ont plus de pilote depuis hier, ils dorment 4h par nuit et se relaient à la barre en permanence, ils doivent avoir sacrément hâte d'arriver aux Açores. La régate se poursuit toujours même si les choix stratégiques sont discutables, on prend 0 risque chez les Damona, adios la vitesse la nuit dernière. Les coraux qu'on avait maintenus à distance depuis 4j reviennent en force pour le sprint final. Ils étaient à 20 milles de nous avant manger. On ne les voit pas sur l'eau ni à l'AIS, à voir comment ça évolue.

Seconde pensée pour les copains de Grabuge, le match retour avec Perpignan se joue ce soir à l'ampérage. Ils me manquent tellement, cette ambiance me manque tellement. L'euphorie d'avant la soirée, lorsque tout est en place et qu'on trépigne d'impatience en attendant les premiers arrivés. Je veux ressentir le stress de voir la réaction des gens qui monte progressivement. La petite voix interne qui te dit de faire gaffe quand tu bois une bière alors que tu sais pertinemment que ça n'a jamais été un soucis. Le moment où t'arrives derrière la personne qui joue et que tu branches ta clef, sélectionne le son. À ce moment là, t'oses pas trop regarder la scène, timide, comme avant un premier baiser. Et puis ça part, les mains se délient rapidement, la confiance et l'entrain prennent le dessus, le parquet tremble. Tu peux enfin lever les yeux et profiter pleinement du moment, même si tu vois en général pas grand chose, c'est la guerre.

Jour 22, 21h30:
J'ai mon quart dans 30 min, je tente le coup de pas dormir après manger pour ce quart, on va voir comment ça paye, pour le moment je suis déjà un peu fatigué. Aujourd'hui le réveil est assez douloureux, mais il a été bien réparateur, je me sens beaucoup mieux dès 6h15. Le jour de lève tranquillement et le début de mon second est assez mou. Je pars pour virer le ris à poste pour gagner en surface de voile, on est généralement deux pour faire ça mais j'ai maintenant l'assurance de faire toutes les manoeuvres solo sans soucis, sauf le spi, lui il fait encore un peu peur. J'suis pas sur que ce soit possible sur le bateau de l'envoyer et de l'affaler sans risquer de le mettre dans l'eau ou de le coincer dans les filières. Toujours est il qu'on gagne 0.5 noeuds sans le 1er ris, c'est toujours ça de pris. Je règle les voiles aux petits oignons, j'ai que ça a faire parce qu'il pleut légèrement sous les grains, mon portable n'a plus de batterie. Cap route directe et je régule à la voile, hop la risée, on borde, ça retombe, on laisse respirer et ainsi de suite. Quand ça pleut trop fort je m'assoie au dessus de la descente, ça me protège pas mal. Autrement je rentre 5 min pour me mettre à l'abri. Les heures passent et personne ne se réveille, étrange, Gervais à l'habitude d'être là à 7h. J'attends que quelqu'un se lève pour envoyer le spi, avec le peu de vent qu'on touche, on avance pas.
Le but est d'essayer d'être à Orta mercredi soir, c'est l'anniversaire de Youen, ça serait sympa. On va tout faire pour, mais on est tributaire du vent like usual. Ce soir, on laisse le spi à poste la nuit, grande première. Il y a peu de vent annoncé, les copains sont briefés sur comment agir en cas de brise, on la tente.

Passé 8h le soleil s'installe, moi avec lui, je me fais sécher en bouquinant. Sang sur le green, un polar de Harlan Cohen, il aura tenu une journée, goinfre que je suis.

Le quart est d'une douceur rarement ressentie, le bateau glisse tendrement en dodelinant de droite à gauche au rythme des vagues. Le spi nous donne de la vitesse, de l'appui et donc de la stabilité. À la barre le bateau se contrôle tout pépère, pratiquement aucun effort à fournir. J'écoute des loustics parler dans mes écouteurs en profitant d'un ciel étoilé magnifique, comme une discussion au fond du jardin un soir d'été. Faut avouer que je me caille un peu plus qu'un soir d'été mais l'idée est là. La mer scintille autant que le ciel, on est de nouveau dans des bancs de planctons phosphorescents. Chaque remous que l'on créer balance une multitude de petits grains de lumière sur les côtés et notre sillage illumine la nuit.

Jour 23 23h06:
Je n'arrive pas à trouver le sommeil, bientôt le quart qui arrive pourtant. Je sens mes yeux fatigués mais mon corps et mon esprit ne s'arrêtent pas de penser. C'est long, on va pas s'en cacher plus longtemps cette transat est longue et ça donne à réfléchir. Il n'y a aucun risque en jeu en terme de santé, de survie ou quoi que ce soit, mais le temps passe lentement. La sieste de l'après midi me flingue ma soirée, le jeu n'en valait pas la chandelle.

J'ai oublié de parler d'un phénomène assez particulier hier. Il faut savoir qu'on se trouve dans un milieu où il y a perpétuellement du bruit. Même en règle générale, il est excessivement rare de se trouver sans un lieu sans ne rien entendre. Là sur le bateau, quand il y a du vent on discerne les bouts qui se tendent, le bruit des poulies qui craquent légèrement, les vagues autour du bateau, le vent qui souffle, la porte des toilettes qui a un léger jeu, etc... Quand il n'y a pas de vent c'est pire, on ne glisse plus, on flotte et tout fait du boucan dans le bateau. À commencer par la bome et la voile, elles claquent en permanence c'est infernal. À l'intérieur du bateau le bois craque, les bouteilles en verre se touchent, des trucs bougent dans les boîtes et dans les placards, c'est omniprésent.
Il est pourtant arrivé 3-4 fois où pendant l'espace d'une seconde, tous les bruits disparaissent et laissent place à un silence religieux. Cette sensation est surréaliste, j'ai l'impression que mon cerveau a manqué une seconde de traitement d'informations, d'avoir buggé. Pourtant, les étoiles s'alignent et chacun des nombreux petits bruits s'arrêtent en même temps. C'est tellement perturbant ce trou dans la routine de l'audition que j'ai tendance à regarder à gauche et à droite, voir si ça n'est pas la conséquence d'un élément extérieure, et non jamais. Hier donc en quart, sous spi en plus de ça, il arrive un moment où tout s'éteint. Sûrement que le bateau est au sommet d'une vague, donc pas de raison de glisser, léger instant de flottement, que chacun des bouts était tendu comme il se devait, que les poulies restaient sage et le vent a cessé de souffler.

Jour 24 3h56:
Nouvelle journée de pétole, à 150 milles de l'arrivée c'est rude, mais pas le choix on s'adapte. En ce moment on voit plein d'animaux marins donc ça nous égaye pas mal. On a aperçu des évents de mammifères, mais pas les corps, c'était peut être des globicephales. Cette après midi c'était Interstellar avec Paul et Elouan. En montant pour vérifier que tout va bien l'aperçoit deux grands ailerons au loin, pile dans notre trajectoire. Lentement mais sûrement on arrive sur eux, on pensait à des requins. Arrivé à leur niveau on remarque qu'ils déplacent leur ailerons de manière hyper fluide, comme un vieux breton qui godille. On dirait que l'aileron est articulé, ça ressemble fort à des espadons. On ne voit pas les corps, seulement ces deux ailerons super impressionnants qui ondulent au dessus de la surface. Ça dure quelques minutes à peine et ils se taillent, des dorades entrent en jeu et viennent prendre le relais autour du bateau pour nous distraire. On essaye tout pour les pêcher mais à cette vitesse (nulle) on peut difficilement les avoir, elles ont tout leur temps pour voir qu'on ne leur sert que du plastoc.Meer informatie